L’esprit public a si bien pris sa voie et la suit avec une si constante fermeté, que toutes les tentatives pour lui faire rebrousser chemin demeureraient vaines et se retourneraient contre ceux qui auraient eu l’imprudence d’employer leurs efforts à transformer en une réalité un rêve insensé. Dans quelque région, au milieu de quelque couche que vous cherchiez la volonté du pays, vous trouverez toujours qu’il veut bien être religieusement enseigné, qu’il ne veut pas être politiquement conduit par des moines.
C’est ce qui comprend bien ce qu’on appelle l’armée des moines, et il ne faudrait pas rendre cette « armée » responsable d’imprudences comme il s’en commet toujours dans les corps de troupes même les mieux disciplinés.
Laissons l’action politique exercée par les congrégations et mettons-nous en face d’une objection plus sérieuse, empruntée au domaine économique : je veux parler de l’objection tirée des biens de mainmorte. Elle a le don d’agir d’une façon particulière sur l’esprit public ; aussi est-ce une de celles que font le plus complaisamment valoir les adversaires des congrégations religieuses ; il la faut donc examiner avec soin, bien voir ce qu’elle est, dans quelles proportions elle se trouverait justifiée.
D’abord, le reproche : j’en prends la formule dans le rapport de M. Trouillot, page 15. « Mais on constate aujourd’hui de quelle façon les lois de prohibition dont nous venons de rappeler les textes ont empêché soit la multiplication des congrégations religieuses, soit le développement de leurs richesses. Les décrets du 29 mars 1880, qui ont tenté la remise en vigueur des textes méconnus, sont aujourd’hui tombés dans le même oubli que les lois elles-mêmes qu’ils voulaient faire revivre. La situation actuelle est même, à certains égards, plus inquiétante pour la fortune publique que la mainmorte d’autrefois ; car aux propriétés foncières occupées par les congrégations religieuses au moyen d’invariables interpositions de personnes s’ajoute maintenant une fortune mobilière qui peut facilement défier toutes les évaluations statistiques et les plus minutieuses investigations du fisc. La démocratie se trouve en face d’un péril dont elle n’a même pas le moyen de mesurer l’étendue. »