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du Louvre, ou la Madone Litta de l’Ermitage, ne pensait pas qu’il dût pour cela ménager ses études. Afin de donner à ces sujets toute leur signification, il s’appliquait à chercher les types les plus purs et les expressions les plus pénétrantes. Tout ce qu’on peut mettre de grâce et de souplesse dans un corps d’enfant, de candeur, de tendresse et de dignité maternelle dans la beauté, d’une vierge, tout ce que l’accord des regards, des attitudes et des gestes ajoute de force à l’unité d’une composition, en reliant affectueusement entre elles ces nobles figures, le maître a su nous le montrer dans ces œuvres exquises.

On sait, du reste, qu’il travailla quatre ans à la Joconde pour en faire le prodige de perfection qui, en dépit des outrages de quatre siècles, a conservé intacte toute sa jeunesse. A travers les fluctuations du goût, chacune des générations écoulées a trouvé des raisons nouvelles d’admirer cette œuvre étrange et de lui prodiguer, sans les épuiser jamais, toutes les formes de l’éloge. Entrez-vous au Louvre, la séduisante créature est là qui vous guette au passage, et parmi tant de chefs-d’œuvre qui l’entourent, elle vous attire, vous arrête et vous garde. Elle vous poursuit quand vous l’avez quittée, et son image fascinatrice persiste dans votre mémoire. Vous croyez la bien connaître et toujours elle a quelque révélation nouvelle à vous faire. Les recherches opiniâtres des érudits, résumées et complétées par M. E. Müntz, vous ont appris tout ce qu’on peut savoir d’elle, et ce tout est peu de chose. Patricienne et mariée à un personnage ; considérable de Florence, Francesco del Giocondo, qui, déjà deux fois veuf, l’épousait en 1495, Monna Lisa n’a pas laissé grande trace dans l’histoire ; mais la gloire qu’elle a reçue de Léonard brille entre les plus hautes. Elégante et femme du meilleur monde, elle l’était sans doute, à en juger par son maintien et par son costume à la fois simple et riche, bien fait pour mettre en lumière toute sa beauté intelligente, son front, ses yeux, ses traits et sa physionomie nous le disent assez.

Ces indications tout extérieures, l’œuvre nous les fournit d’elle-même. Mais après tant d’autres qui se les sont posées, que de questions naissent dans votre esprit en présence du portrait de cette femme. C’est le goût de l’artiste autant que le sien propre qu’attestent ces draperies délicates et souples, la fine broderie des entrelacs dont sa robe est ornée, cette coiffure qui dégage et encadre si harmonieusement l’ovale aminci de son