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d’abord dessiné au repos, puis en marche, et enfin courant. Sur une même feuille sont groupés tous les travaux des champs : des paysans qui piochent, bêchent, sèment, plantent ou fauchent ; en un moment, l’esprit de Léonard a ainsi embrassé et sa main a docilement retracé les diverses occupations de la vie rurale. Ou bien l’acte qu’il représente est aussitôt accompagné de l’acte contraire : un homme monte un escalier qu’un autre descend ; celui-ci prend un fardeau, un autre le rejette. Ces suites de mouvemens prochains ou opposés sont rendues d’un trait élégant et précis, en tenant toujours un compte rigoureux des conditions d’équilibre. Peu à peu les dessins que le maître a faits posément, et avec grand soin, d’après les corps au repos, l’ont assez familiarisé avec leurs formes pour qu’il puisse noter rapidement par la suite les actions les plus vives. Les facultés d’observation qu’il a ainsi développées en lui sont d’ailleurs toujours soutenues par des procédés de vérification pratiques qui en assurent la « justesse : « Quand tu veux représenter un homme nu au naturel, dit-il, tiens en main un fil à plomb pour bien voir les rencontres des choses. »

Mais en exigeant de l’artiste tout le savoir possible, Léonard ne veut pas que la science acquise dégénère jamais en vaine pratique, ni qu’on en fasse parade. Il n’aime pas « les muscles trop appareils, aux contours trop accusés. Des lumières douces qui passent insensiblement à des ombres agréables donnent la grâce et la beauté. » L’excellence de la peinture se manifeste surtout, suivant lui, par la science du clair-obscur et des raccourcis. Mais, dans ces raccourcis eux-mêmes, il ne faut jamais étaler sa virtuosité et il cherche à prémunir contre ce danger : « Peintre anatomiste, veille bien que ton excessive connaissance des os, des tendons et des muscles ne fasse de toi un pédant, à force de faire montre de ton savoir sur ce point. »

La photographie instantanée est venue confirmer la justesse absolue des mouvemens, même les plus rapides, représentés par Léonard. Mais dans la succession ininterrompue de tous les mouvemens liés à une action quelconque, et qui, reproduits en un grand nombre de clichés, procurent au spectateur, dans le cinématographe, l’illusion même de la vie, les momens choisis par le Vinci sont tous expressifs. Chacun d’eux se suffit à lui-même, sans avoir besoin, pour être intelligible, d’être expliqué par le mouvement antérieur ou par le mouvement qui le suit,