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Toutes ces notions que Léonard s’est attaché à réduire en préceptes scientifiques sont indispensables au peintre. Mais elles ne constitueraient pour lui qu’une préparation élémentaire, si elles n’étaient fécondées par une étude directe de la nature et par l’expression plus ou moins personnelle que, suivant son tempérament, chaque artiste arrive à dégager de la réalité pour en reproduire les traits qui lui paraissent les plus significatifs. La peinture chez les maîtres est avant tout la manifestation de la vie dans ses acceptions variées. Qu’il s’agisse d’exprimer la beauté ou le caractère d’une figure, d’en exalter la force ou la grâce, Léonard s’est montré véritablement créateur. C’est donc là ce qui, dans ses dessins, mérite surtout de fixer notre attention. À ce titre, chacun d’eux a sa valeur propre ; mais leur réunion nous révèle en outre, au point de vue des enseignemens qu’il en pouvait tirer, une intention suivie et comme une doctrine qu’il convient de signaler. Ses études, en effet, ne sont pas isolées : elles se tiennent et dérivent d’un plan rationnel ; elles comprennent dans leur ensemble les élémens d’une méthode scientifique. Non seulement elles tendent à exercer l’œil de l’artiste à bien voir et sa main à reproduire exactement les formes exposées à ses regards, mais elles ont aussi pour objet de lui apprendre à comparer ces formes, à estimer ce qui en elles est expressif, à les suivre dans toutes les modifications qu’elles peuvent subir, à développer par conséquent les facultés d’observation et de mémoire pittoresques sans lesquelles il n’est pas d’artiste complet.

Voici, au musée du Louvre, quatre têtes dessinées avec soin, sous la même lumière, d’après un même enfant : l’une est en profit tout à fait perdu, avec un soupçon de nez dépassant à peine les joues rebondies ; dans une autre, les nez apparaît et un bout de la lèvre supérieure ; la troisième est entièrement de profil et la quatrième vue de trois quarts. Dans toutes ces positions, la ressemblance de l’enfant, — avec la rondeur et la souplesse un peu molle de ses chairs, avec son front bombé et ses cheveux capricieusement bouclés, — a toujours été respectée. Mais les divers aspects que peut prendre son visage dans ces déplacemens successifs sont aussi notés avec une scrupuleuse exactitude. D’autres dessins du maître représentent des figures entières d’enfans jouant ou se caressant entre eux et montrant dans leurs attitudes familières l’équilibre encore hasardeux de leurs mouvemens, l’ingénuité et la gaucherie naïve des gestes propres à leur âge.