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disposera de ressources pour exprimer sa pensée. Un esprit élevé et pénétrant apporte d’ailleurs dans cette étude primordiale des exigences graduellement croissantes qui développent sa propre originalité. Léonard s’applique à étayer de son mieux cette préparation initiale, par tout ce qui peut la guider et lui donner une base assurée. « Ceux qui s’éprennent de pratique sans science, dit-il, sont comme des pilotes qui entreraient dans un navire sans gouvernail ou sans boussole, et qui ne sauraient jamais certainement où ils vont. »

Entre toutes les études qui s’offrent au peintre comme au sculpteur, celle du corps humain est l’étude par excellence, celle qui, avec la disposition où nous sommes de rapporter tout à nous-mêmes, est la plus faite pour nous intéresser. C’est elle, d’ailleurs, qui pour l’artiste contient le plus d’enseignemens, car bien connaître le corps de l’homme donne la clé de la structure de beaucoup d’autres êtres pour lesquels notre corps peut en quelque manière être considéré comme un type d’où ils dérivent. L’anatomie et la science des proportions qui lui est connexe donnent raison des formes normales de ce corps et du fonctionnement des muscles qui déterminent ses mouvemens. Mieux qu’aucun autre artiste, Léonard a cherché à dégager nettement de cette étude le caractère à la fois scientifique et esthétique, et, mieux qu’aucun autre aussi, — les nombreux dessins qui constatent ses recherches à cet égard en font foi, — il a essayé de trouver dans le corps humain celle de ses parties qui, étant exactement contenue dans les autres, pourrait servir à toutes de mesure commune. Cependant, si positives et si utiles que soient des notions de ce genre, elles ne constituent guère que des moyens de contrôle ou de vérification pour le peintre comme pour le sculpteur. Mais tandis que le dernier se propose de reproduire les formes telles qu’elles sont, le peintre n’a à nous les montrer que dans leur apparence, avec les déformations que causent dans leur aspect le plus ou moins d’éloignement, le plus ou moins d’obliquité de l’angle sous lequel nous les voyous. De là l’obligation d’être à la fois initié à la perspective linéaire, qui, ainsi que son nom l’indique, vise plus particulièrement la représentation des contours des objets, et à la perspective aérienne, qui a trait à l’effacement graduel et aux modifications des couleurs que produisent l’éloignement ou le déplacement de la lumière qui éclaire ces objets.