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un plaisir très vif pour un artiste de voir à quel point il est exact et précis, avec quelle aisance et quelle fidélité il arrive à montrer, à expliquer les rouages et les engrenages des machines les plus ingénieuses, le fonctionnement d’une poulie, d’une vis, d’un cabestan, l’entrelacement de fascines destinées à briser la violence des flots, les échafaudages superposés d’une construction, les nœuds de cordages qui relient fortement, entre eux des pieux assemblés en vue d’une résistance énergique, etc. Dans ces dessins, jamais une hésitation, ni une erreur. Chaque objet est rendu avec une clarté et une évidence qui donnent aussitôt raison de sa fonction. Partout on sent un esprit aussi pénétrant que vigoureux. Entre l’art et la science de Léonard il y a comme un échange continuel et un profit constant. Aussi, avec sa curiosité toujours en éveil, a-t-il produit un nombre prodigieux de dessins. Durant toute sa vie, dans les intervalles assez longs où il ne peignait pas, absorbé qu’il était par ses travaux de statuaire ou d’ingénieur, il ne cessa jamais de dessiner, et quand, fixé, pendant sa vieillesse, à Amboise, la paralysie commençait à le gagner, il continua, tant qu’il put, de le faire. C’est son existence tout entière qu’on repasse, c’est son intelligence si ouverte et son immense savoir qui se manifestent à nous quand nous feuilletons ses dessins. Le total en est vraiment fait pour confondre, et si aux chefs-d’œuvre que possèdent les riches dépôts du Louvre, du British Museum, de Windsor, du musée des Uffizzi, de la Bibliothèque du roi à Turin, de l’Académie des Beaux-Arts à Venise, et la collection de M. Léon Bonnat, nous ajoutions les croquis innombrables contenus dans ceux des manuscrits de Léonard qui nous ont été conservés et qui ne forment pas moins de 5 000 pages, nous arriverions à un chiffre formidable. Il y a donc lieu de remercier les auteurs des récentes publications de ces manuscrits pour les jouissances et les enseignemens qu’ils nous ont procurés. En mettant ainsi à notre disposition les fac-similés de ces merveilles, ils nous font pénétrer dans l’intimité de l’un des plus merveilleux génies qui aient honoré l’humanité.


II

Parmi les dessins du maître, les plus intéressans pour nous sont ceux qui ont été faits en vue de son instruction ou pour la préparation d’une de ses œuvres.