Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/271

Cette page a été validée par deux contributeurs.
265
LE FANTÔME.

pourquoi, dans ce petit salon de l’ancien hôtel de Mme  Duvernay, le vieillard choisissait toujours le même siège maintenant, près de la fenêtre, à contre-lumière de façon à dissimuler son visage pâli, de façon surtout à ne pas voir, lui non plus, une certaine miniature placée sur la table dans un cadre d’or ciselé, — un de ses cadeaux de noce au mariage Malclerc ! Quoique les deux hommes n’eussent plus échangé un mot sur le passé, Étienne savait encore pourquoi d’Andiguier ne lui donnait jamais la main, sans qu’il sentît cette main frémir, sans qu’il vît une angoisse luire dans ces yeux, de plus en plus fiévreux d’insomnie. C’était la différence qui séparait son observation de celle d’Éveline. Celle-ci remarquait bien tous ces signes d’une profonde altération dans la physionomie et les manières de d’Andiguier. Mais, tandis que Malclerc plaignait le vieil ami d’Antoinette en le comprenant, elle cherchait, elle réfléchissait, elle se demandait s’il n’y avait pas autre chose qu’une coïncidence entre les scènes de l’autre semaine et les troubles subits de cette santé, demeurée si intacte jusque-là.

— Est-ce que vous vous sentez souffrant ? lui avait-elle demandé le sur lendemain de l’explication chez lui.

— Tu me trouves un peu défait ? avait-il répondu. Ce sont mes névralgies qui me reprennent et qui m’empêchent de dormir…

La précipitation qu’il avait eue de donner à son visible état de malaise une cause matérielle lui aussi, comme Malclerc, avait arrêté toute autre question sur les lèvres d’Éveline. Elle s’était dit : « À quoi bon essayer de nouveau de l’interroger ? Il ne parlera pas plus que l’autre… » et elle avait, à chaque visite, étudié les progrès de la souffrance sur le visage du vieillard. Non. Le dépérissement de d’Andiguier n’avait pas uniquement un principe physique. Elle l’avait vu malade à d’autres reprises, et elle avait pu constater son stoïcisme dans la douleur. C’était le chagrin qui le rongeait, comme c’était le chagrin qui avait rongé Malclerc, — c’était le même chagrin. Celui-ci se dominait depuis la terrible nuit où il avait été sur le point d’attenter à sa vie. Mais Éveline n’était pas la dupe de cette attitude destinée à la tromper. L’autre se dominait aussi, mais il en mourait. Pourquoi ? Quelle était la gravité terrible du secret qu’on lui cachait, pour que non seulement il eût fait, d’un coup, l’accord entre les deux hommes, mais encore frappé d’Andiguier comme un malheur