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morte, dans ces confidences de l’amant ! Elles se rouvraient, elles le regardaient, ces prunelles bleues, « à la fois si douces et si impénétrables. » Elle lui avait parlé, à lui aussi, elle lui parlait, de cette voix « qui semblait venir de si loin dans son âme »… Si différens que fussent les deux hommes, leur impression de leur commune amie avait eu quelques-unes de ces analogies profondes, qui veulent qu’une invincible sympathie se mêle à la haine dans certaines rivalités d’amour, et voici que l’image d’Antoinette, évoquée par la passion d’un autre, s’anima pour d’Andiguier davantage et davantage encore. Voici que la chaude source de tendresse se mit à jaillir de nouveau, à ruisseler dans ce cœur de plus de soixante ans, comme si la perfide était réellement entrée dans la chambre… Perfide ? Avait-il vraiment le droit de l’appeler ainsi ? Quelle promesse lui avait-elle faite, qu’elle ne lui eût pas tenue ? Quel droit lui avait-elle donné, qu’elle lui eût repris ? À quels engagemens envers lui avait-elle manqué ? Si elle s’était tue du sentiment qu’elle avait éprouvé pour Malclerc, n’était-ce pas qu’elle se savait aimée par son vieil ami, d’une affection plus passionnée que l’amitié, et afin de lui épargner une inutile souffrance ? Il en avait été de lui comme de sa fille. Si réfléchie et si fine, elle avait souhaité de leur éviter à l’un et à l’autre des complications dangereuses. Elle avait rêvé de ne rien leur prendre. Elle ne leur avait rien pris. Son silence n’était ni une hypocrisie, ni une défiance. C’était un respect pour les droits acquis, et, pour ce qui le concernait, un ménagement envers une tendresse trop susceptible. D’Andiguier n’en avait-il pas eu la preuve dans cette mission dont elle l’avait chargé après sa mort ? Ces lettres, livrées si loyalement à sa fidélité, sans un essai d’explication, sous la seule sauvegarde d’un souhait, n’était-ce pas l’aveu qu’elle avait des secrets, inconnus de lui, en même temps qu’une supplication de ne pas chercher à les savoir ? Comment pouvait-il lui reprocher sa double vie, lorsqu’elle lui en avait mis le mystère entre les mains, avec une simplicité qui attestait ! une telle estime, tant d’amitié aussi ? La part qu’elle lui avait ! attribuée dans son cœur, n’avait certes pas été la plus grande. Elle avait été bien à lui. Quand il l’avait rencontrée au bord du lac de Côme, dans la douloureuse période d’avant son mariage avec Albert Duvernay, qu’avait-il voulu, désiré, espéré ? Qu’elle lui permît de se dévouer pour elle, de la protéger, de l’aimer ? N’avait-elle pas accepté cette protection jusqu’au bout ?