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une désinvolture inconnue jusqu’ici, il l’a complètement amendé et changé. L’Angleterre avait renoncé au droit de construction en commun que lui donnait le traité de 1850 ; le Sénat américain a refusé en outre la neutralité du canal ; enfin il a décidé que le traité, contrairement aux premières conventions, ne serait communiqué à aucune autre puissance que l’Angleterre. On juge sans doute que le traité n’intéresse que celle-ci ; mais il nous semble que, dans sa teneur actuelle, il cesse de l’intéresser elle-même, puisqu’on lui enlève, sans demander son consentement, tous les droits qu’elle pouvait avoir. Il n’en reste rien désormais.

On a beaucoup répété depuis quelque temps que l’Amérique était un jeune géant en croissance, et on applaudissait, en Angleterre plus encore que partout ailleurs, à la poussée vigoureuse qui déterminait ses développemens. On trouvait, à Londres, ce spectacle magnifique ! Mais les géans en croissance sont sujets à des impatiences qui les portent à secouer le joug des règles qu’observent les grandes personnes dont l’éducation est achevée. Or, s’il y a une règle bien établie entre les nations du vieux monde et du vieux temps, c’est qu’elles communiquent toujours entre elles par l’intermédiaire de leurs gouvernemens, et non pas par celui de leurs parlemens. De très bonnes raisons justifient cette pratiquera place nous manque pour les exposer : elles sont inspirées par l’expérience, la prudence, le désir d’éviter l’imprévu dans les relations mutuelles et de ne pas s’exposer à des heurts trop violens. Enfin, la préparation des traités est l’œuvre propre et exclusive du pouvoir exécutif, quels que soient d’ailleurs, suivant les pays, sa forme et son nom. Les parlemens ont, bien entendu, leur mot à dire sur ces traités, ou plutôt ces projets de traité, et ce mot est même le plus important, puisqu’il est définitif et décisif. Mais il est très court : il se borne à oui ou non. Les parlemens donnent ou refusent aux gouvernemens l’autorisation de ratifier un traité : quant au traité lui-même, ils n’ont pas le droit de le modifier. Nous n’avons pas besoin de dire que, s’ils le rejettent, la discussion qui a précédé leur vote peut éclairer très utilement le gouvernement en vue de négociations ultérieures, à supposer qu’il y ait lieu d’en ouvrir. Mais aucun parlement n’avait encore eu l’idée qu’il pouvait amender un traité qui lui était soumis. Pourquoi ? demandera-t-on. Pour un motif très simple, en dehors de ceux que nous avons déjà sommairement indiqués, à savoir que, pour négocier, il est bon d’être deux, et qu’un parlement est toujours seul. Il n’a pas de partenaire en face de lui. Il agit unilatéralement ; de sorte qu’au