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Salluste dit des Numides qu’ils ne recherchaient point le sel : neque salem, neque alia irritamenta gulæ quærebant. Et, de même, nous voyons autour de nous, à côté des animaux de ferme qui en sont friands, le chien et le chat qui n’y trouvent aucun plaisir.

Ces exceptions ont longtemps passé pour inexplicables. On ne comprenait pas comment le besoin du sel pouvait être, dans certains cas, aussi impérieux que les véritables besoins physiologiques, la faim et la soif, tandis que d’autres fois, il semblait entièrement étranger à l’organisme. Un savant physiologiste, M. Bunge, de Bâle, a apporté la lumière dans cet obscur problème. D’une vaste enquête, — ethnographique, historique et géographique, — à laquelle il s’est livré, il a tiré cette première conclusion que l’usage du sel est lié au régime. Le sel est un complément obligatoire du régime végétarien. Parmi les animaux, ce sont les herbivores qui le recherchent avec prédilection : les carnassiers n’ont pour lui que de l’indifférence ou même du dégoût. Parmi les hommes, l’appétence pour cet assaisonnement existe surtout chez ceux qui se nourrissent de légumes et de céréales, c’est-à-dire chez les populations agricoles, ou chez ceux, tout au moins, qui ont un régime mixte. Au contraire, ceux qui s’en montrent dédaigneux ce sont les nomades, les tribus pastorales qui tirent de leurs troupeaux le lait et la viande dont ils se nourrissent ; et, encore, les peuples chasseurs ; ou enfin les populations ichtyophages qui demandent leur nourriture à la pêche et qui, vivant cependant sur les rivages de la mer ou aux embouchures des fleuves, ont à leur portée le sel dont elles ne veulent pas. Et, s’il en est vraiment ainsi, on conçoit, au moins comme un fait dont il y aura lieu de chercher tout à l’heure l’explication, la corrélation intime de ces deux phénomènes historiques : le développement de l’agriculture et de la vie sédentaire, d’une part ; l’usage alimentaire du sel, d’autre part.

Cette loi résume, nous le répétons, les résultats d’une très vaste enquête sur les mœurs et les habitudes alimentaires des diverses populations, mises en regard de l’usage qu’elles l’ont ou ne font pas du sol. Quelques-unes de ces observations ont la valeur d’une expérience de contrôle.


Toutes les tribus nomades du nord de la Russie et de la Sibérie s’abstiennent de saler leurs alimens, non point que le