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qu’elle devait renoncer à une entreprise impossible et liquida avec de grandes avaries.

Tous ces gros établissemens portaient d’ailleurs en eux un germe de mort : sans contact avec les classes urbaines ou rurales, parmi lesquelles ils étaient censés devoir recruter leurs pratiques, ils durent s’adonner, pour vivre, à de tout autres occupations que celles de leur but initial. La Société de Crédit agricole, qui de toutes eut la plus longue existence, disparut en 1876, compromise dans des spéculations avec le gouvernement égyptien complètement étrangères au crédit de l’agriculture.

Mais ce qui peut surprendre davantage, c’est que, chez certains esprits, les leçons du passé n’aient pas semblé avoir laissés de traces. Sans parler des diverses propositions de loi qui ont été déposées à la Chambre, n’avons-nous pas vu l’année dernière une nouvelle tentative faite par un Syndicat national de Crédit agricole, qui a cherché à se constituer au capital de 40 millions pour répandre, de Paris, le crédit par toute la France ? Le projet échoua et fut abandonné six jours plus tard. La sagesse des populations rurales les avait détournées de ce mirage.

Tandis qu’en France des projets mal conçus avortaient ainsi l’un après l’autre, l’idée du crédit mutuel faisait son chemin à l’étranger. Raconter son prodigieux succès au-delà de nos frontières m’entraînerait hors du cadre de celle étude ; aussi bien les lecteurs de la Revue ont-ils été édifiés par des articles antérieurs sur l’importance des résultats obtenus. Il me suffit de rappeler ici que, depuis un demi-siècle, où, à quelques années d’intervalle, deux inconnus, sans appui, sans fortune, sans expérience, mais doués d’un esprit juste et d’un cœur passionné pour le bien du peuple, Hermann Schulze, petit juge de canton, Raiffeisen, officier d’artillerie démissionnaire, fondèrent, l’un à Delitsch, dans la Saxe prussienne, l’autre dans un coin du Palatinat, à Heddersdorf-Neuwied, les premières mutualités de crédit urbain ou rural, sous deux formes différentes, l’Allemagne a vu se grouper 10 000 sociétés populaires autour d’un millier de banques coopératives, 660 millions de francs y sont déposés, et leurs opérations annuelles atteignent 2 milliards et demi. En Italie, les institutions analogues, dont la première fut inaugurée par M. Liuzatti à Milan, en 1858, avec un capital de 700 francs, ont également prospéré, puisqu’elles possèdent plus de 400 millions de francs de dépôts.