Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV

Le prêt d’un capital pour une année n’est autre chose que la vente d’une somme d’argent à un an de crédit ; de même la vente d’une armoire ou d’un costume à un an de crédit est exactement semblable au prêt de la valeur de ce costume ou de cette armoire pendant un an. Les privilégiés de l’aisance se procurent aisément capitaux et marchandises ; ils trouvent de l’argent parce qu’ils inspirent de la confiance, ils inspirent confiance parce qu’ils ont de l’argent. Les personnes sans fortune ne trouvaient naguère ni crédit, ni argent, précisément parce qu’elles sont dépourvues de l’un et de l’autre. Leur confier des fonds en échange d’un gage, c’est déjà leur apporter un secours notable : c’est aussi rendre service à cette masse dénuée de ressources que de lui livrer des objets nécessaires ou utiles, sans exiger d’elle le débours immédiat de leur valeur.

A la condition toutefois de ne pas majorer le prix de ces objets au point que le délai concédé pour le paiement devienne matière à usure. Dans tout commerce, dans toute industrie, le crédit impose au vendeur un surcroît de frais généraux ; il coûte quelque chose ; et ce quelque chose est mis toujours à la charge de l’acheteur, qui l’acquitte sans trop l’apercevoir, les riches chez leur carrossier ou leur couturière, les pauvres chez leur boulanger, et ce n’est pas ici que le crédit est le moins cher. Il s’est fondé, depuis une quarantaine d’années, un certain nombre d’établissemens ayant pour but la vente à crédit, aux classes laborieuses, des habits, des meubles et en général de tout ce que détaillent, au comptant, les magasins ordinaires de nouveautés. La plupart ont disparu ou végètent ; un seul a prospéré, — la maison Crespin-Dufayel ; — son chiffre d’affaires atteint annuellement 70 millions de francs.

Libéré du service militaire comme caporal, Crespin, qui, pour se distinguer d’un concurrent installé dans sa rue, adopta plus tard cette raison sociale : « Crespin aîné, de Vidouville (Manche), » se souciait peu de retourner au village natal pousser la charrue aux côtés de son père. Echoué à Paris, il débuta dans une imprimerie où il n’arrivait pas à gagner plus de 1 fr. 50 par jour. La photographie le tenta et, après avoir exercé quelque temps ce