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Les allèchemens de Vénus, la gueule, les ocieuses plumes ont chassé d’entre les hommes tout désir de l’immortalité… mais quelque infélicité de siècle où nous soyons, ne laisse pourtant à entreprendre une œuvre digne de toy, espère le fruit de ton labeur de l’incorruptible et non envieuse postérité : c’est la gloire, seule eschele par les degrez laquelle les mortelz, d’un pié léger montent au ciel, et se font compagnons des Dieux. (Illustration, Livre II, ch. V.)


Ni l’un ni l’autre n’a jamais douté que ce sentiment, très généreux d’ailleurs, pût suffire à soutenir, et, — quelque sujet qu’il traitai, — à renouveler l’inspiration du poète.

Ils y en ont ajouté cependant un autre, qui est l’amour de la patrie française, et on sait, à ce propos, que Du Bellay a passé longtemps pour avoir introduit le premier ce mot même de « Patrie » dans notre langue. C’est précisément dans la dédicace de la Défense à son puissant parent, et patron, « Monseigneur le révérendissime cardinal Du Bellay ; » et l’auteur du Quintil Horatian lui avait même fait là-dessus une chicane étrange « Qui a Pays n’a que faire de Patrie, » lui disait-il ; et il en donnait celle surprenante raison que Patrie n’était qu’une « escorcherie du latin, » et le vrai mot français était Pays, qui venait, de « fontaine grecque ! » Mais s’il est aujourd’hui certain que Du Bellay n’est pas le premier qui se soit servi du mot, les pages les plus éloquentes de la Défense, — et, en particulier, tout un chapitre qu’il a consacré : Aux louanges de la France, le douzième de la seconde partie, — sont là pour attester qu’il a vraiment vu, comme Ronsard, dans la rénovation de la poésie française, une tâche que nous appellerions aujourd’hui « patriotique. » Contemporain de l’Hymne à la France de Ronsard, 1549, le passage qui commence par ces mots : « Je ne parlerai ici de la tempérie de l’air, fertilité de la terre, et abondance de tous genres de fruits, » — ce passage, comme l’Hymne de Ronsard, peut bien être, et je le crois, imité de l’éloge de l’Italie dans les Géorgiques : Salve, magna parens frugum, mais l’accent n’en est pas moins personnel à Ronsard et à Du Bellay : et c’était la première fois qu’il se faisait entendre ; et on pourrait dire qu’en la résumant, cette dernière observation symbolise toute leur poétique. Ils ont estimé que, de l’entreprise qu’ils tentaient, l’enrichissement qui résulterait pour la langue nationale serait lui-même une extension du nom, et un accroissement de la grandeur française.

Aussi, de tous les reproches que leurs adversaires leur ont,