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On est d’ailleurs un peu étonné que Du Bellay, qui connaissait Dante, ne l’ail pas cité au même rang que Pétrarque, si la Vita Nuova n’est qu’un Canzoniere mêlé de son propre commentaire ; si c’est Dante qui le premier peut-être a bien vu que le sonnet n’était ou ne devait être qu’une forme ou une espèce du lyrisme ; et si les Canzoni ou les Ballate de la Vita Nuova lui ont à lui-même, Du Bellay, dans ses Vers lyriques, servi plus souvent de modèles que les Odes d’Horace et surtout de Pindare[1]. Au reste, pour avoir « certains vers réglés et limités, » Je sonnet n’est pas plus que l’ode pindarique un poème à forme fixe, s’il convient, comme je le crois, de voir le caractère essentiel du poème à forme fixe dans le refrain, — responsorium, ainsi que le note encore Dante, — c’est-à-dire dans la répétition des mêmes mots, compliquée de l’effort que l’on fait pour que cette répétition de mots ne soit pas une répétition d’idées. Et bien loin que le dernier vers du sonnet, comme l’Envoi de la ballade ou le dernier vers du rondeau, « le ferme » pour ainsi parler, nous avons déjà dit qu’au contraire il l’ « ouvrait » sur l’infini du rêve : un beau sonnet n’est beau de rien tant que de l’ouverture ou de l’ampleur de ce dernier vers. C’est ce que les poètes de la Pléiade ont bien su. Nous ajouterons qu’en acclimatant sous notre ciel de France la forme étrangère du sonnet, ils n’ont pas seulement enrichi notre poésie d’une forme d’art aussi supérieure à nos genres à forme fixe qu’elle en est différente, mais ils ont fait preuve d’une juste reconnaissance envers leurs maîtres italiens ; ils ont mêlé à l’imitation des anciens l’accent de « modernité » qui est celui de Dante ou de Pétrarque ; et ils ont enfin rendu à l’inspiration personnelle du poète ce que l’on va voir que leur conception du Long Poème françois et de l’Ode même lui ravissait de liberté.

Telle en effet qu’ils l’ont conçue d’abord, dans la Défense, avec son appareil soi-disant pindarique, — strophe, antistrophe, épode, — l’Ode n’a guère de liberté que du côté de la science ou de l’érudition, et c’est ce qui explique assez bien qu’eux-mêmes, en en

  1. Que Du Bellay connût Dante, c’est ce qui résulte de la mention qu’il en fait dans son Ode à Madame Marguerite : D’escrire en sa langue ; et puisqu’il l’y rapproche de Bembo, il eût sans doute pu, et avec plus de raison, le rapprocher de Pétrarque.
    La Vita Nuova contient en effet quelques-uns des plus beaux sonnets de la langue italienne, moins sensuels que ceux de Pétrarque, plus platoniques en ce sens, et plus voisins enfin de l’inspiration générale de l’Olive de Du Bellay.