Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noms des matières, des outils, et les termes usitez en leurs arts et mestiers, pour tirer de là ces belles comparaisons et vives descriptions de toutes choses. (Illustration, Livre II, ch. XI.)


Et Ronsard, à son tour :


Tu pratiqueras bien souvent les artisans de tous métiers, comme de marine, vénerie, fauconnerie, et principalement les artisans de feu, orfèvres, fondeurs, maréchaux, minéraliers ; et de là tireras maintes belles et vives comparaisons, avec les noms propres des métiers, pour enrichir ton œuvre et le rendre plus agréable et plus parfait. (Abrégé de l’Art Poétique, au préambule.)


Il est certes fâcheux que, de toutes les leçons de nos réformateurs, ce soit celle-ci que nos poètes, pendant deux cent cinquante ans, dussent le moins retenir ! Elle les eut préservés de leur tendance à nommer les choses par les noms les plus généraux, et à confondre ainsi l’esthétique de la poésie avec celle de la prose. Mais, de tous les moyens le plus sûr, celui que recommandaient tout particulièrement Ronsard et Du Bellay, c’était encore l’ « imitation des anciens auteurs grecs ou romains ; » et naturellement, on leur demandait comment, par quel artifice ils accordaient ensemble cette « défense » de la langue française et cette « apologie ; » du latin et du grec ? »


Je ne vois comme se peut entendre ceci, — reprenait l’auteur du Quintil Horatian, — car, si Grecs et Romains nous faut chercher, que sera-ce ? Ou les choses ? ou les paroles ? Si les choses, tu te contredis… et encore ou ce sera par translation ou par tractation ? Si par translation, tu la défends ; si par tractation, c’est redite de même chose en autre langue à nous propre et rien pour cela enrichie de parolles. (Ed. Person, 201.)


A quoi Ronsard et Du Bellay ne répondaient rien, ou peu de chose. Et ce n’est pas qu’il y eut contradiction au fond de leur pensée : il n’y avait que confusion. Peu exercés encore au maniement des idées générales, leur expression se sentait de la pauvreté relative, de la raideur, de l’imprécision de la langue, de la nouveauté de leur dessein, et, en deux mots, de tous les défauts dont ils prétendaient la guérir en la mettant elle-même à l’école de l’antiquité. Ce qu’il y a de plus rare quand on écrit, n’est-ce pas de dire tout ce que l’on veut dire, et, en le disant, de ne dire que ce que l’on veut dire ? Mais vraiment c’est alors que la critique et l’histoire ne serviraient de rien, si nous ne voyions pas quelquefois plus clair que son auteur lui-même dans la