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Odes, — on le prétend du moins ! — et qui niera que la facilité même, ou l’air d’aisance et de maîtrise avec lequel ils en ont triomphé, ne soit toute une part de leur génie poétique ?

La rime aussi est une contrainte, et cependant ni Du Bellay ni Ronsard n’auront garde de s’en débarrasser : Baïf, seul, nous le verrons, s’avisera de faire des vers mesurés à l’antique. Mais si Du Bellay consent bien que la rime soit riche, — « pour ce qu’elle nous est, dit-il, ce qu’est la quantité aux Grecs et Latins, » — il se hâte aussitôt d’ajouter :


Quand je dy que la rythme doit être riche, je n’entens qu’elle soit contrainte, et semblable à celle d’aucuns qui pensent avoir fait un grand chef-d’œuvre en françois quand ils ont rymé un imminent et un éminent, un miséricordieusement et un mélodieusement, et autres de semblable farine, encore qu’il n’y ait sens ou raison qui vaille. (Illustration, Livre II, ch. VII)[1].


Il répond sans doute à Thomas Sibilet, lequel, dans son Art Poétique, distinguant cinq sortes de rimes, les classait selon qu’elles étaient : la première « de demi-syllabe, » la seconde, « d’une syllabe seule, » la troisième, « de syllabe et demie, » la quatrième, de « deux ou plusieurs syllabes, » et la cinquième enfin, la bonne ou la meilleure, de « deux, trois ou quatre syllabes. » L’auteur du Quintil Horatian, aussi lui, comme Sibilet, estime fort cette dernière espèce :


Comme tu as ôté les plus belles formes de la poésie française, — disait-il à Du Bellay, — ainsi rejettes-tu la plus exquise forme de rimes que nous ayons, moyennant qu’elle ne soit affectée, et cherchée trop curieusement… La difficulté des équivoques, qui ne te viennent pas toujours à propos, les te fait rejeter. (Ed. Person, 209.)


Il est certain que Du Bellay n’admire que modérément l’équivoque, et il a sans doute raison. Mais, dans son ardeur de réagir contre les « ineptes rymasseurs » de l’école des Molinet et des Meschinot, n’est-il pas allé trop loin à son tour ? Assurément, il a raison quand il demande que « la rime soit volontaire et non forcée ; reçue et non appelée ; propre, non aliène ; naturelle, non adoptive ; » ou du moins il aurait raison, si ce n’étaient là de simples antithèses qui ne rendent pas grand sens quand on essaie de les presser. Le poète et l’orateur sont sujets à se payer de mots !

  1. Je lis dans les Conversations de Gœthe (traduction Délerot, II, 241, 242) : « Aujourd’hui le mérite technique préoccupe avant huit, et MM. les critiques se mettent à murmurer, si l’on fait rimer un s avec un sz ou un ss. »