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l’on pouvait indiquer à un autre les moyens de le devenir ! Nous ne nous étonnerons donc pas qu’aussitôt qu’il s’agit d’en venir au conseil ou à la leçon, nos réformateurs hésitent, ou plutôt, — car ils n’hésitent guère, et leur intrépidité d’affirmation ne s’émeut d’aucune contradiction, — nous ne nous étonnerons pas qu’au moment de « se formuler, » leur doctrine s’embrouille, et se confonde. Aussi bien, la langue de l’époque, inhabile ou du moins neuve encore à l’expression des idées littéraires, n’est-elle, pas pour les préserver de celle confusion. Même quand ils savent ce qu’ils veulent dire, ils ne le disent pas toujours, et les textes de Cicéron, d’Horace, de Quintilien, de Vida, qu’ils copient sans le moindre scrupule, perdent, en passant par eux, quelque chose de la lucidité, de la précision, et de l’impérieuse autorité du latin.

Ils sont nets, à la vérité, et décisifs sur un point, qui est la proscription en masse de tous les anciens genres. On connaît l’invective classique :


Laisse moy, ô Poëte futur, toutes ces vieilles poésies françoises aux Jeux floraux de Toulouse et au Puy de Rouen, comme Rondeaux, Ballades, Virelaiz, Chants royaux, Chansons et autres telles épiceries qui corrompent le goust de notre langue et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance. (Illustration, Livre II, ch. IV.)


Mais la raison de cette proscription, ils ne la donnent, je veux dire qu’ils ne la motivent nulle part ; et, si l’on a droit de supposer que, ce qui leur en a principalement déplu, comme gênant en quelque sorte la liberté de leurs mouvemens, c’est la forme fixe, leurs adversaires n’ont-ils pas beau jeu de s’écrier là-dessus :


Sonnez-lui l’antiquaille ! vraiment, tu nous as bien induict à laisser le blanc pour le bis, les Ballades, Virelaiz, Rondeaux et Chants royaux pour les Sonnets, invention, comme tu dis, italienne (Quintil Horatian, Ed. Person, 206).


Et, au fait, c’est une première question que de savoir si les Combinaisons quasi mathématiques du Sonnet ont rien en soi de moins « contraignant » que celles de la Ballade ou du Chant Royal ; mais c’en est une seconde, et plus importante, que de savoir si ces « contraintes. » que l’on rejette si délibérément, n’ont pas peut-être leur valeur d’art. Que de contraintes Horace ou Pindare ne se sont-ils pas imposées dans l’architecture de leurs