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qui consacrent leur fortune à secourir les lettrés sans ressources, à imprimer des livres écrits par des savans pauvres, aidant ainsi doublement le peuple, par l’argent et par l’instruction qu’ils répandent. Il serait peut-être paradoxal, mais vrai, de dire que le Chinois instruit méprise l’argent, ou du moins ne le recherche que pour les satisfactions élevées qu’il en tire.


II

La civilisation chinoise, totalement différente de la nôtre, n’est donc ni moins complexe, ni moins raffinée que la civilisation européenne, mais, encore moins que celle-ci, elle inspire aux hommes l’intelligence et la tolérance des idées étrangères. L’Européen de valeur moyenne ne comprend pas, d’habitude, les Asiatiques et, dans leurs coutumes les plus indifférentes ou les plus louables, ne trouve qu’objet de raillerie ou de dédain ; le Chinois grossier, comme le cultivé, n’a pour nous que du mépris, ou, s’il est singulièrement bienveillant, de la pitié. L’isolement séculaire où la Chine a vécu explique en partie ces sentimens. Jusqu’au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, les petits États qui composaient l’Empire étaient liés surtout par la communauté de langue et d’institutions ; la Chine antique ressemblait à l’Europe du moyen âge, où de nombreux souverains indépendans se partageaient les populations de civilisation chrétienne et reconnaissaient la suprématie plus ou moins efficace du Pape et de l’Empereur. Entre les royaumes chinois existaient des relations réglées par un véritable droit des gens ; mais de ces rapports réguliers étaient exclues les tribus barbares, c’est-à-dire de langue différente, d’organisation primitive, qui peuplaient le pourtour de la confédération et vivaient à l’intérieur même de ses limites, comme, en Occident, l’Islam fut longtemps privé des droits admis en faveur des chrétiens. La chute des petits royaumes féodaux, substituant aux relations internationales celles de province à province dans un même empire, ruina à sa base l’idée du droit des gens ; et, comme cet événement coïncida avec une subite extension de puissance qui porta l’autorité du Fils du Ciel approximativement jusqu’aux frontières de ce que nous appelons la Chine propre, l’empire n’eut plus d’autres voisins que des peuples encore barbares, dont un bon nombre étaient nomades et dont les plus avancés connurent l’écriture cinq ou six siècles