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départemens méridionaux n’existaient qu’en minutes et n’avaient jamais été distribués. Assurément, en avoir conçu la pensée et rédigé le texte, c’était assez pour appeler sur sa tête un arrêt de mort. Il est toutefois remarquable qu’on renonça à se servir de ces moyens. L’accusation d’avoir fabriqué de la fausse monnaie fut également abandonnée. On n’en avait pas besoin pour justifier une sentence capitale. Le marquis de Surville était émigré. Aux termes de la loi du 19 fructidor de l’an V, cela suffisait.

Mais les choses ainsi décidées allaient produire un résultat inattendu. Les faits reprochés à Dominique Allier, à Charbonnelle de Jussac et à Robert se trouvèrent n’être pas justiciables de la même juridiction que ceux dont Surville était accusé. En sa qualité d’émigré, et poursuivi pour avoir contrevenu aux lois sur l’émigration, Surville devait comparaître devant une commission militaire spéciale, siégeant au Puy, tandis que c’est le conseil de guerre permanent de la 19e division militaire, siégeant à Lyon, qui devait connaître des crimes de ses complices. Ainsi en décida le tribunal d’Yssingeaux à qui on avait demandé de fixer la compétence.

Si rapidement qu’eût été menée l’enquête dont les quatre prévenus étaient l’objet, il fallut plus de deux mois pour aboutir à cette conclusion. Pendant ce temps, ils avaient été soumis à une réclusion rigoureuse. Résigné dès le premier jour à mourir, Surville la supportait avec un calme stoïque, laissant passer avec une indifférence dédaigneuse les griefs qu’on lui imputait, ne déployant quelque énergie que pour se défendre de s’être associé à des violences, d’avoir fabriqué de la fausse monnaie, et pour affirmer qu’il s’appelait bien réellement Tallard et non marquis de Surville. Dans son cachot, où il passait seul les heures que lui laissaient ses fréquens interrogatoires, il consacrait à la lecture les loisirs de sa solitude. Il écrivait aussi. On a raconté qu’il ajouta, pendant sa captivité, plusieurs pièces de vers aux poésies de Clotilde. L’inventaire des papiers qu’après sa mort on trouva dans sa prison ne mentionne que trois lettres dont il est question plus loin. Il en existe une quatrième, adressée à sa femme quelques instans avant sa mort[1], mais elle ne fut pas saisie. Il

  1. Il nous a été impossible de découvrir où résidait à cette époque la marquise de Surville. Quant à la lettre que lui écrivit son mari avant de mourir, M. Macé, qui était, il y a vingt-quatre ans, professeur d’histoire à la Faculté de Grenoble, en possédait à cette époque l’original.