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III

Le 1er août 1798, le général de brigade Colomb, commandant la première subdivision de la 19e division militaire, était venu du Puy à Craponne pour inspecter un cantonnement de troupes qu’on avait formé dans cette commune. A peine arrivé, il fut averti que quatre inconnus qu’on supposait être des rebelles, et non des moins dangereux, résidaient depuis peu de jours à Saint-Pal. Ils y avaient passé la dernière nuit, dans la maison de Marie Thiouleyre, veuve de Jean-Pierre Brun, qui avait consenti à leur donner asile. Ils devaient encore y passer la nuit suivante. En conséquence, si l’on voulait s’emparer d’eux, il serait facile d’y réussir. Les documens ne désignent pas le dénonciateur. La tradition locale adoptée par la plupart des narrateurs de l’événement veut que ce fût une femme. Ils ne la nomment pas. Mais tous s’accordent à la considérer comme « une Messaline. » Maîtresse du plus jeune de ces suspects, elle aurait reçu de lui, outre des confidences compromettantes, un dépôt d’argent, et ce serait afin de s’approprier ce dépôt qu’elle n’aurait pas hésité à trahir le secret arraché par elle à la confiance de son amant. Au surplus, de quelque côté que vînt l’avis apporté au général Colomb, il ne pouvait n’en pas tenir compte. Il donna des ordres sur l’heure à l’effet de se saisir de ces suspects.

Il serait dommage de ne pas tirer de la poussière des archives où il est resté longtemps enseveli le rapport dans lequel il racontait à son divisionnaire, le général Pille, commandant à Lyon, les suites qu’il avait données à l’avis si positif qui venait de lui être transmis. Le récit que nous en pourrions faire nous-même ne saurait avoir la saveur et le piquant de celui qu’il adressait à son chef hiérarchique, quatorze jours après l’arrestation, et qui, sous sa forme un peu emphatique, possède ce mérite, si rare dans les pièces documentaires relatives à ces temps troublés, de ne pas outrager la vérité.

« Le 15 fructidor, à huit heures du soir, la gendarmerie de Craponne s’est mise en marche pour se rendre dans la commune de Saint-Pal, avec quarante chasseurs de la seizième demi-brigade d’infanterie légère, en cantonnement à Craponne, commandée par le lieutenant Meusnier, se dirigeant sur une maison située dans des gorges indiquées comme repaire de prêtres insermentés.