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enveloppe de mystère l’existence de Surville à cette époque. Avait-il passé à l’étranger ? Etait-il à Lausanne, où, durant son séjour de l’année précédente, il avait noué des relations et conquis de précieuses amitiés, celle notamment de la chanoinesse de Polier, directrice du Journal littéraire de Lausanne, à qui, avant de mourir, il recommandait les poésies de Clotilde de Surville ? Etait-il, au contraire, resté dans la Haute-Loire, et y vivait-il en se cachant à Retournac, chez son amie Mme de Chabanolle, ou ailleurs, pour se soustraire aux poursuites dirigées contre lui et ses compagnons ? Autant de questions auxquelles on ne saurait répondre. Il n’est qu’un fait certain, c’est qu’il ne prit aucune part au coup de main que, quelques jours avant le 18 fructidor, tenta le baron de Saint-Christol pour s’emparer du Pont-Saint-Esprit. Intimidé sans doute par le piteux dénouement de celle équipée, ou rendu impuissant par l’écrasement de son parti, il s’abstint de toute tentative armée.

Il n’avait pas cependant renoncé à une action ultérieure. Après qu’il eut été pris, on découvrit dans ses papiers des minutes de lettres et des projets de proclamations, dans lesquelles il se qualifiait « Colonel Légionnaire et Commissaire départi par Sa Majesté Très Chrétienne dans l’intérieur du royaume, près des Français amis du trône et de l’autel. » Il fut également prouvé que, depuis son retour, il avait associé sa fortune à celle de Dominique Allier en prenant le nom de Lionne, et son complice celui de Barlatier ; qu’ensemble, ils avaient pratiqué l’embauchage et, pour s’assurer les moyens de payer leurs soldats, fabriqué peut-être de la fausse monnaie.

Au commencement de juillet, ils étaient tous deux à Saint-Pal, village perdu dans les montagnes de la Haute-Loire, non loin de Tiranges et de Craponne. Tout ce pays est sillonné de gorges et de précipices. Depuis le commencement de la révolution, des prêtres réfractaires y vivaient réfugiés, et relativement en sûreté, grâce non seulement à la configuration du sol qui leur offrait des retraites inaccessibles, mais encore à la complicité des habitans que leur prédication ne cessait d’exciter contre la République, et qui se hâtaient de les prévenir, toutes les fois qu’apparaissaient les gendarmes. Surville et Allier devaient donc s’y croire à l’abri de tout danger, et c’est là qu’ils revenaient toujours de préférence.