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Marcel Monnier, a proposé, sans compter beaucoup, semble-t-il, sur le succès de son projet, d’installer à Pékin non pas une garnison composée des troupes des grandes puissances, mais un corps recruté dans des pays neutres, qui ne puissent porter ombrage à personne, Suisse, Hollande, Pays Scandinaves. Il aurait même voulu qu’on en formât une garde pour l’Empereur lui-même. Le projet mériterait au moins d’être étudié.

Que l’impératrice Tze-Hsi soit maintenue ou non au pouvoir, il est clair que les étrangers devront exercer une certaine influence sur la désignation des ministres. Nous n’entendons pas parler là d’une immixtion directe dans leur choix : cela risquerait d’abord de faire considérer le gouvernement central comme un simple instrument de l’Europe, d’où de graves inconvéniens pour la tranquillité intérieure de la Chine ; puis d’amener des querelles entre les puissances, chacune considérant tel ou tel mandarin comme son ami, tel autre comme son adversaire, d’où des périls sérieux pour la paix du monde. Nous voulons simplement dire que les puissances devraient mettre leur veto à la nomination aux grandes charges de personnages notoirement hostiles à tout ce qui vient du dehors. Dans le cas où l’empereur serait réinstallé au pouvoir et l’impératrice exilée, peut-être même l’Europe agirait-elle sagement, dans un sens inverse, en modérant les tendances réformatrices qui semblent être celles du jeune souverain, en l’engageant à ne pas faire de changemens trop brusques.

Il est certain qu’au sein de la classe des lettrés il existe des courans en sens divers. S’il y a très peu de réformateurs extrêmes dans le genre de Kang-You-Weï, il se trouve un nombre plus important de gens qui semblent reconnaître que tout n’est pas mauvais dans la civilisation occidentale ; qu’au point de vue matériel, elle possède quelques bons côtés ; que d’ailleurs on ne peut résister à l’Europe ; et qu’il vaut mieux, dès lors, accepter franchement la situation et profiter au moins des avantages qu’on en peut tirer. De ce nombre paraît être Chang-Chih-Toung, le célèbre vice-roi d’Han-Kéou ou plutôt de Wou-Tchang, dont on ne peut que louer l’attitude pendant la dernière crise. Ce sont là les hommes dont l’Occident doit désirer l’arrivée au pouvoir et qu’il pourrait peut-être y pousser par une politique habile et discrète à la fois. Au pis-aller, on devrait encore se contenter de personnages dans le genre de Li-Hung-Chang, en ayant soin de se montrer très ferme vis-à-vis des faux-fuyans et des tentatives