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porte et la charnière, » et il décline, au nom de son pays, toute responsabilité dans la déclaration de guerre. Incontestablement il en a le droit. Si d’autres gouvernemens jugeaient d’un égal intérêt pour eux de rendre compte aujourd’hui des conseils qu’ils ont pu donner autrefois et qui n’ont pas été suivis, il est probable qu’ils auraient presque tous quelque chose à dire. Mais à quoi bon le dire en ce moment ? A quoi et à qui cela peut-il servir ? Si le Transvaal a commis des fautes politiques, — et nous en avons autrefois relevé nous-même quelques-unes, — il les a rudement et, en somme, glorieusement expiées : peut-être y a-t-il quelque dureté à les lui reprocher publiquement. Mais il fallait bien que le gouvernement allemand dirigeât contre le Transvaal quelques critiques, ou même quelques attaques, pour se défendre lui-même, car il éprouvait le besoin de se défendre, et cela même juge la situation dans laquelle il s’est mis. Après un long préambule : « Le problème, a déclaré M. de Bulow, se résume en ceci : Le voyage du Président et sa réception par l’Empereur auraient-ils pu servir à lui ou à nous en quelque façon ? — Je réponds de la façon la plus énergique : En aucune manière ! » Mais, précisément, il y a en tout cela excès d’énergie, et d’énergie employée à faux. Certaines questions de convenance morale ne peuvent pas se résoudre par des dilemmes aussi simples ; et c’est peut-être parce que son douloureux voyage ne pouvait être d’aucune utilité au président Krüger, qu’il convenait d’en diminuer pour lui l’amertume, au lieu d’y ajouter de nouvelles et d’artificielles rigueurs. L’utilité n’est pas la seule mesure des choses ; il y en a qui ne servent à rien, et qui sont bonnes et douces tout de même : elles sont la dernière consolation du malheur.

Dieu nous garde de nous donner en exemple ! Cependant, si nous avions encore à recevoir le président Krüger, nous recommencerions sûrement ce que nous avons fait ; et, s’il était allé en Allemagne avant de venir chez nous, nous le recevrions mieux encore, non pas pour nous mettre en contraste, et encore moins en opposition avec notre puissant voisin, mais parce que nous croirions devoir montrer encore plus de sympathie à une infortune plus grande, supportée toujours noblement. Au reste, M. le comte de Bulow a rendu pleine justice à M. Delcassé. Il a raconté au Reichstag, — et nous ne nous attendions pas à ce qu’il nous fût révélé par sa bouche, — le secret de la conversation qui a eu lieu entre notre ministre des Affaires étrangères et le président Krüger. Celui-ci a demandé, parait-il, « comment le gouvernement français se conduirait en présence de certaines éventualités que pourraient produire les démarches qu’il se proposait de faire en