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de fer, de mines ou d’autres, elle inquiétera d’abord le gouvernement de Pékin, parce qu’il verra dans ces demandes une arrière-pensée politique, puis elle le placera dans un difficile dilemme : ou complaire au peuple et à l’immense majorité des lettrés, en refusant d’accéder aux désirs de l’Europe, ce que celle-ci ne saurait tolérer, car ce serait la perte de son prestige et le réveil de l’orgueil chinois qui deviendrait bientôt intraitable ; ou bien s’incliner devant les exigences des étrangers, et alors mécontenter vivement l’opinion publique à l’intérieur, ajouter encore aux causes de faiblesse du régime actuel, déjà multiples, et qui se multiplieront d’autant plus qu’il sera plus conciliant envers les étrangers. Il ne faut pas se figurer que l’opinion publique soit une quantité négligeable dans le Céleste-Empire ; elle ne l’est d’abord nulle part, même sous les régimes despotiques ; mais le régime qui prévaut en Chine n’appartient pas à proprement parler à cette dernière catégorie. Le gouvernement y est exercé par des membres de la classe dirigeante des lettrés, choisis, il est vrai, par un souverain absolu ; mais ce dernier ne saurait gouverner longtemps contre l’opinion de cette classe, toute-puissante sur le peuple au sein duquel elle se recrute par les examens. On dit, trop facilement peut-être, qu’il n’y a d’émeutes en Chine que celles qui sont encouragées, fomentées même par les autorités. Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a quelquefois des mouvemens populaires spontanés ; il y en a souvent que suscitent, non les mandarins, mais les très nombreux lettrés sans place ; enfin, il s’en trouve que les fonctionnaires locaux font naître sans l’aveu, ou même contre la volonté du gouvernement central, dont le pouvoir a souvent eu beaucoup de peine à se faire sentir énergiquement dans les provinces, même aux temps les plus brillans de l’histoire de la Chine. Ce qui est un fait, c’est que plus de vingt dynasties se sont succédé dans ce pays, c’est par conséquent que nous sommes très bien fondés à redouter les effets du mécontentement intérieur sur l’ordre établi en Chine, si nous obligeons le gouvernement à nous laisser introduire, trop vite, trop de nouveautés, mal vues de l’opinion.

Est-ce donc une abdication de l’Europe que nous préconisons ? Demandons-nous qu’elle renonce, en ce qui concerne la Chine, au droit qu’elle prétend avoir de mettre en valeur les richesses naturelles de toutes les régions du globe, que leurs habitans y consentent ou non ? Nous ne sommes pas si absolus. Que tous les