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Un autre passage n’est pas moins curieux :


— Je ne veux louer entre nous nos poètes, répondy-je, parmy lesquels je souhaite que l’envie ne s’acharne au mespris l’un de l’autre, et leur désire au reste tant heureuse continuation que les est rangers ayent par cy après à nous rendre ce que par l’ignorance de quelques siècles passés nous avons été contraints leur prêter de louange et d’admiration. Bien voudroy-je que quelqu’un plus hardy et plus que moy suffisant, entreprint et vint à chef d’un art poétique approprié aux façons françoises… Je requerrais qu’à l’image des anciens, nos chants eussent quelques manières ordonnées de longueur de vers, de suite en entremellement de rimes et de modes de chanter, selon le mérite de la matière entreprise par le poète, qui observant en ses vers les proportions doubles, triples, d’autant et demi, d’autant et tiers, aussi bien qu’elles sont rencontrées aux consonances, seroit digne poète musicien, et témoigneroit que l’harmonie et les rimes sont presque d’une mesme essence, et que sans le mariage de ces deux, le poète et le musicien demeurent moins jouissans de la grâce qu’ils cherchent aquérir.


Assurément, ni du Bellay, ni Ronsard, ni Baïf n’exprimeront leur idéal poétique avec plus de précision, ni surtout ne le dériveront d’une source plus haute ; et on peut dire en ce sens que, si Daurat a été l’érudit de la Pléiade, Pontus de Tyard en a été, lui, le philosophe. Oserai-je ici me servir du terme propre, et théologique ? Il a vraiment conçu la poésie comme une ascèse, c’est-à-dire comme un exercice, — du grec ἄσϰειν (askein), — ou un combat de l’âme, s’efforçant de se dégager de la matière, et de reconquérir, par la noblesse ou l’élévation continue de la pensée, sa dignité perdue. Ce qui ne sera chez ses jeunes et triomphans émules qu’une attitude peut-être, ou une forme aristocratique de leur dédain du vulgaire, est bien dans ses Discours toute une philosophie, et presque une religion. Servons-nous encore de ses expressions : « La fureur divine, dit-il, est l’unique escalier par lequel l’âme puisse trouver le chemin qui la conduise à la source de son souverain bien et félicité dernière ; » et, des quatre sortes dont peut l’homme être épris de divine fureur, « la première est par la fureur poétique procédant du don des Muses ». Que si cette religion est d’ailleurs un peu vague, et si cette philosophie s’embarrasse, pour ne pas dire qu’elle s’empêtre dans le pédantisme de son style, les traits n’en sont pas moins reconnaissables. Sans doute aussi, — et le choix de la forme du dialogue semblerait l’indiquer, — Pontus causait-il mieux qu’il n’écrivait. Ses avis, ses conseils auront eu probablement plus d’influence que