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soigneusement gravés, tels que la Femme et la Lycorne, avec cette devise : « Je perds la vie pour le voir ; » Actéon, avec la devise : « Fortune par les miens me chasse ; » ou le Paon, avec celle-ci : « Qui bien se voit orgueil abaisse. » Mais voici bien une autre affaire ! De ce total de 449 dizains, quand on retranche les cinq premiers, qu’on pourrait appeler liminaires, et les trois derniers, — qui forment conclusion, en prolongeant le poème au-delà de la mort de l’amant, — il nous en reste 441, lequel nombre, étant additionné chiffre à chiffre, donne 4 + 4 + 1 = 9, et divisé par 9, donne 49, qui est lui-même le carré de 7, comme 9 est le carré de 3. Qu’il y ait là-dedans « de la cabale, » ainsi qu’on dit familièrement, nous n’en pouvons guère douter, et nous dédions ce problème de mathématique littéraire à la méditation des spécialistes[1]. Mais le lecteur ne s’étonnera pas que, pour s’être soumis à une semblable contrainte, l’auteur de Délie en soit devenu généralement inintelligible, et au contraire il admirera que, dans la nuit de ce poème obscur, on voie, pour ainsi dire, étinceler encore tant et de si singulières beautés.


CCXXI
Sur le Printemps, que les Aloses montent,
Ma Dame, et moy sautons dans le bateau
Ou les Pescheurs entre eux leur prinse comptent,
Et une en prent : qui sentant l’air nouveau,
Tant se débat, qu’en fin se saulve en l’eau
Dont ma Maîtresse et pleure et se tourmente.
— Cesse, lui dy-je, il faut que je lamente,
L’heur du Poisson que n’as sçeu attraper,
Car il est hors de prison véhémente
Ou de tes mains ne peux onc eschapper[2].


N’y a-t-il pas là tout un petit tableau de genre pris sur le vif, ad vivum, et dont la grâce maniérée ne manque assurément ni d’élégance ni de charme ? Mais dans le dizain que voici n’y a-t-il pas quelque chose de plus ; et n’y retrouve-t-on pas ce mélange de mysticisme et de sensualité que nous avons plus haut essayé de définir ?

  1. On retrouvera les mêmes préoccupations scientifiques sous une autre forme, et le même étalage d’érudition, dans l’autre grand poème de Maurice Scève, son Microcosme, dont nous ne disons rien ici, parce qu’il n’a paru qu’en 1562.
  2. L’orthographe que nous reproduisons est celle de l’édition de Paris, chez Nicolas du Chemin, 1564.