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LES
TRONÇONS DU GLAIVE

CINQUIÈME PARTIE[1]


XVII

Au château des Hunaudières, près du Mans, Eugène, pour la vingtième fois depuis six jours, relisait le cher billet de Charmont, reçu par un heureux hasard le 1er janvier, le papier parfumé encore sous l’enveloppe salie et dont l’écriture l’émouvait comme une caresse de la main même de Marie. Il demeurait sous le coup de l’attendrissement causé par la nouvelle intime, cet espoir d’un petit être en qui tous deux revivraient, prolongeraient la famille, la race. Tout son amour s’en trouvait ravivé, pénétré de pitié, de reconnaissance. Il revoyait sa femme si jolie dans le voile neigeux et la robe blanche, puis la courte ivresse de ces trois jours où ils avaient oublié le monde, où elle s’était donnée entière, avec tant de grâce et de pudeur. Quoique la lettre fût déjà ancienne, il se laissait aller au mirage de revivre ensemble un instant, dans une illusion de bonheur partagé ; il se représentait la chambre tendue de cretonne, avec ses vieilles gravures, son meuble de soie bleue, son chiffonnier ancien. La fenêtre donnait sur la terrasse d’où l’on domine la Loire, l’étendue des champs

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 septembre et du 1er et 15 octobre.