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uns avec les autres, qui sait s’ils ne reperdraient pas ou tout au moins ne laisseraient pas s’émousser le sentiment de leur intérêt de classe, et sommeiller l’espèce d’âme ou de conscience collective qu’un contact perpétuel et obligé leur avait faite ? Mais alors qui ne voit que les données, industrielle, économique, psychologique, tous les facteurs du problème changeant, et se renversant presque, la solution n’en serait plus à chercher où on la cherche ordinairement, et qu’il pourrait y avoir un rebroussement dans la direction que l’évolution sociale paraissait suivre ?

Assurément, même comme hypothèse, et avec des points d’interrogation, une telle proposition ne peut être énoncée sans distinctions et sans nuances, sans précautions et sans réserves. En effet, si la dépossession de la vapeur par l’électricité doit avoir pour résultat de déconcentrer le travail dans chacun des centres où parviendra la force, — et c’est ce qui se passe déjà à Lyon, à Saint-Etienne et à Genève[1], — cependant, jusqu’à ce que le rayon de transport ait été allongé indéfiniment, les industries resteront concentrées dans un champ assez restreint autour de l’usine productrice de force ; d’autre part, les causes physiques, géographiques ou économiques qui contribuent au groupement des industries en un même lieu ne cesseront pas d’intervenir, de les retenir à proximité d’un marché ou d’un débouché ; et, d’autre part encore, la distribution de force à domicile se fera surtout dans les industries où l’ouvrier façonnier relève d’un gros fabricant qui emploie un très grand nombre d’ouvriers, lesquels garderont ainsi vis-à-vis du patron un intérêt commun ; tout n’agira donc pas absolument, sans résistance ni compensation, dans le sens d’une déconcentration, d’une dissociation, d’une réindividualisation du travail et des travailleurs. Mais la tendance générale n’en sera pas moins celle-là ; et, comme, auparavant, elle allait

  1. « Dans la région Nord du Velay, où l’industrie des rubans s’est conservée, le cultivateur habitant les bourgs possède, comme au siècle dernier, un ou plusieurs métiers. Il travaille pour de grands industriels de la Loire, ce qui lui permet de ne pas courir personnellement les risques d’une mévente et des crises commerciales ; le travail fatigant des bras est supprimé, grâce à l’énergie électrique qui met en mouvement les machines. La femme, l’enfant ou la fille peuvent surveiller les fils et, au bout de l’année, le bénéfice du tissage vient s’ajouter au profit des travaux des champs. » — Germain Martin, l’Industrie et le Commerce du Velay aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1 vol. in-8o ; Le Puy, R. Marchessou, 1900 p. 193. — On peut aussi, sur ce point, consulter avec fruit l’excellente brochure de M. D. Soulé : L’Industrie dans les Pyrénées par le travail familial, au moyen de la distribution de la force électrique à domicile.