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est pas moins faite, double à ses origines et en ses procédés, une à son aboutissement ; ou plutôt, pour se poursuivre et se faire par les voies légales, cette révolution ne s’en fait et ne s’en poursuit pas moins. Quand le peuple « misérable » est’ devenu en même temps « le peuple souverain, » la législation est devenue comme le grand chemin de la révolution ; et sur ce chemin, chaque pas n’a plus laissé sa trace sanglante, mais, depuis lors, sans bien savoir où nous allons, sans même bien sentir que nous marchons, nous ne nous sommes plus arrêtés.


II

Quo vadis ?… Il est temps de nous interroger : où le chemin de la révolution par la législation nous conduit-il ? Car cette révolution, encore une fois, n’est pas achevée et ne peut pas l’être ; on ne saurait lui assigner un terme, on ne pourrait en tracer la courbe que si l’on pouvait assigner une limite, en prédisant leur succession, aux inventions et découvertes capables de modifier de nouveau, dans le même sens ou en sens contraire, les conditions matérielles du monde. Je dis : dans le même sens ou en sens contraire, et il faut le dire, puisque nul ne peut affirmer que, domestiquées et pliées à notre service, agissant par nous et réagissant sur nous, ce sont toujours les mêmes forces naturelles qui agiront, ni qu’elles agiront toujours les mêmes, ni par conséquent qu’elles réagiront toujours dans la même direction sociale.

Cette direction, comme on l’a déjà remarqué, semble jusqu’ici avoir été constante depuis l’application de la vapeur aux usages industriels ; autrement dit, depuis le début, ou presque le début de la révolution économique. Elle a tout de suite tendu à une concentration générale et croissante des instrumens de travail, du travail, des travailleurs, des facteurs de la production et des sources de la richesse ; en cela d’abord opposée à la tendance fortement et obstinément accusée de la révolution politique vers un extrême individualisme. La révolution politique, en broyant et pulvérisant la nation, en brisant la classe, l’ordre, la corporation, qui étaient comme les matrices de la société ancienne, avait isolé l’homme, et, l’isolant, l’avait individualisé. Mais cet individu qu’isolait la révolution politique, au fur et à mesure qu’il se dégageait, la révolution économique le reprenait, et, d’une poussée continue, le regroupait, le resocialisait. Une