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politique. Par une de ces coïncidences qui sont peut-être un peu plus que des coïncidences, vers les années où s’annonçait au monde la révolution politique, vers ces mêmes années s’annonça également la révolution économique. Le Contrat social est de 1762 ; le métier à filer vingt fils, de 1769 ; l’édit de Turgot sur les corporations, de 1776. Voisines ainsi à leurs origines, les deux révolutions se sont, tout le long du siècle, développées selon deux plans parallèles, qui se projettent devant nous presque indéfiniment. Toutes deux étaient déjà avant 1789 ; toutes deux continuent d’être après 1848 ; aucune des deux n’est ni achevée ni vraisemblablement près de s’achever ; ralentie et comme assourdie, mais incessante et ininterrompue, la double révolution se poursuit en une double évolution.

De plus en plus il apparaît que, politiquement et économiquement, l’État moderne sera construit d’en bas, fondé sur le Nombre, fait pour lui, mené par lui, et, en ce sens, démocratique ; mais, ni politiquement, ni économiquement, cet État n’est encore fait, ni fondé, ni construit. Le vieux monde politique et économique n’est déjà plus, mais le nouveau, promis depuis un siècle, n’est pas encore ou s’ébauche à peine. Le Nombre subitement émancipé se joue à travers toute cette matière inorganisée comme une force naturelle déchaînée à travers le chaos. Économiquement ou socialement et politiquement, l’État ancien n’a déjà plus sa forme, l’État moderne n’a pas encore la sienne : de grands souffles agitent la masse inconsistante, troublée du dedans et secouée du dehors : quelle sera, cette fois, la face de la terre ?

Dans l’œuvre mystérieuse qui s’élabore, si nous pouvons jouer un rôle, notre tâche à nous doit être de changer peu à peu en des élémens organisés la matière inorganisée du monde, d’apaiser et de capter les souffles, de rasseoir et de raffermir la masse, de discipliner et de diriger les forces naturelles, de canaliser et de régulariser par-là l’action du Nombre tout-puissant. En termes précis, elle doit être d’organiser politiquement et économiquement la démocratie ; et, en termes plus précis encore, pour l’organiser économiquement, d’organiser le travail, tandis que, pour l’organiser politiquement, nous organiserons le suffrage universel. Ce qu’il faut d’ailleurs entendre par « organiser le travail, » et aussi ce qu’il faut ne pas entendre par cette formule que l’abus a quelque peu discréditée, on s’efforcera de le dire clairement sur chacun des points qui seront touchés. Il ne s’agit