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nombre des personnes livrées au châtiment importe moins que leur caractère d’instigateurs principaux et de chefs du mouvement, » dit fort justement la dépêche circulaire allemande en date du 18 septembre. Ces chefs du mouvement sont extrêmement haut placés. A leur tête est le prince Tuan, et à côté de lui se trouvent tous les princes de la dynastie impériale, sauf peut-être le prince Ching ; — encore les troupes de ce dernier faisaient-elles partie des bandes qui ont assiégé les légations. Tous les Mandchous qui occupaient de grandes charges ont aussi poussé au massacre, tels Kang-Yi, Young-Lou et d’autres moins connus : certains Chinois de haut parage y ont trempé, comme Li-Ping-Heng, inspecteur des défenses du Yang-tse, ayant rang de vice-roi et You-Hsien, gouverneur du Chan-si, après l’avoir été du Chan-toung, où il avait surveillé d’un œil paternel les premiers ébats des Boxeurs : ce personnage adressait dernièrement au Trône un mémoire où il demandait une récompense pour avoir fait massacrer une cinquantaine de chrétiens et de missionnaires, après leur avoir persuadé de se placer sous sa protection.

Ce qu’il y a de plus grave, c’est que les princes et fonctionnaires que nous venons de nommer n’ont rien fait de leur propre initiative : il paraît certain qu’ils n’ont passé aux actes qu’après avoir convaincu l’impératrice, — qui ne demandait sans doute qu’à se laisser convaincre, — d’approuver et de sanctionner leurs desseins. Ce serait donc elle la véritable coupable ; en admettant même la fiction de son irresponsabilité, comment croire qu’elle livrera ceux qui forment encore son entourage, sinon son gouvernement ? Au moment de s’enfuir de Pékin, alors qu’elle pouvait se rendre compte déjà des conséquences des crimes qu’ils lui avaient conseillés, elle était autant que jamais sous leur influence, puisqu’elle faisait exécuter cinq membres du Tsong-li-Yamen accusés de modérantisme ; depuis, bien des faits sont venus montrer que cette influence subsistait. La livraison des plus haut placés d’entre les coupables, du père de l’héritier présomptif entre autres, paraîtra une condition tout à fait inacceptable, au point que la Cour préférera sans doute ne pas traiter, malgré les sérieux inconvéniens qui pourraient en résulter pour elle, malgré les moyens de pression dont l’Europe dispose. La poursuivre à Si-Ngan-fou, à 1 000 kilomètres de Pékin, d’où elle s’enfuirait encore ailleurs, il n’y faut certes pas songer. Peut-être faudra-t-il donc se résigner à ne pas voir décapiter Tuan ; et, si l’on obtient