Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les nuances en soient aussi révélatrices. On trouverait peut-être, d’ailleurs, à ce peu de développement de l’esprit esthétique, une raison plus simple et lointaine, l’ignorance profonde et l’absence presque totale de culture, de curiosité intellectuelle dans laquelle les Espagnols ont longtemps laissé sommeiller ce peuple. Il convient aussi d’ajouter que la Colombie ne fut jamais, comme le Mexique, la fille bien-aimée de la Péninsule.

Quelques raisons qui aient pesé sur les destinées artistiques des jeunes Colombiens, c’est vers la littérature, plus communément accessible, moins apparemment laborieuse, moins coûteuse comme matière première, que leurs aspirations s’orientent de préférence. Le résultat demeure des plus honorables. On tire de belles éditions à Bogota. Et le contenu tient fréquemment les promesses de la forme. Tout guitariste est doublé d’un poète et tout arriero d’un guitariste. Sans doute je ne vais point jusqu’à dire que tout arriero se fasse éditer chez Camacho Roldan ; mais il est bien peu de cachacos au moins qui, se sentant quelque bleu à l’âme, quelque œil noir en perspective et quelques rimes au bout des doigts n’aient rempli de leurs sonnets, de leurs stances ou de leurs acrostiches une ou deux colonnes du Correo National, de l’Autonomista ou du Repertorio Colombiano. Quant aux romans, qui commencent à former une petite bibliothèque, deux surtout m’ont paru savoureux : Blas Gil, par M. Marroquin[1] et une page d’amour aussi exquise que simple, histoire de Maria.


Quand on en a fini, ou à peu près, avec Bogota, il reste à connaître la Savane. Quand on a arpenté celle-ci, il reste à voir les grandes curiosités naturelles des environs, les mines de sel de Zipaquira, le pont de Pandi, et le salto de Tequendamn.

La Savane, — Sabana, — cette royale plaine suspendue dont Bogota occupe la lisière orientale, est plate absolument comme l’était la fertilisante mare tertiaire qui l’a formée. Deux voies ferrées, d’une quarantaine de kilomètres chacune, permettent d’en toucher rapidement deux des bords, à Zipaquira et à Facatativa. Les Indiens racontaient qu’au temps des amours de la Lune avec le Soleil, la pâle capricieuse, un jour, se réveilla jalouse. Sur quelle Léda stellaire le maître des mondes avait-il jeté son

  1. Le Président actuel.