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peut mettre bien des grâces dans l’art de renoncer ! Les cheveux blancs ont aussi leur charme !

Et, comme elle est, avec cela, gentiment campée, élégante souvent, cette jeune fille, elle sait encore s’imposer par ce côté « poupée » qui a peut-être, — Dieu ou le diable ne l’ignorent pas, — autant de poids que la beauté dans l’empire d’une femme. La seule crainte que je formulerais serait peut-être justement de la voir céder elle aussi, à un modernisme de costume disparate dans ce cadre de Bogota, si particulier, d’une gravité sentimentale et catholique si spéciales. En somme, et quoi que puisse décréter la tyrannie de la mode, le costume le plus seyant pour la Sud-Américaine, le mieux harmonisé avec ce milieu de passion et de foi, restera sûrement toujours la mantille.

Je ne souhaite point de voir les Bogotanes perdre, par un esprit d’imitation insuffisamment critique, leur distinction personnelle et charmante. Rêvent-elles de toutes les cangues, de tous les martyres stoïquement affrontés, à quoi nos grands tailleurs, dans leur préoccupation exclusive de réaliser une silhouette factice, soumettent sans appel de pauvres corps par avance résignés à tout ? En vérité, leur esthétique mérite mieux ; et, de même que les délices de l’enfer parisien les lasseraient vite, nul cadre jamais ne les mettra mieux en valeur que celui, tout simple, tout immédiat, du home, de la casa où je les voyais hier encore, aux bougies, alertes, brillantes, sautant d’un quatuor de tiple à l’Érard toujours ouvert, de la valse du jour Sobre las olas au dernier opéra de Salvayre, à la dernière pavane de Saint-Saëns. Ou bien tout simplement elles causaient, comme elles causent toutes, de la voix, du geste, du regard, du corps entier, joli babil d’oiseaux dans une cage dorée. Quand elles se reposent, elles trouvent naturellement cette attitude un peu lasse, un peu éplorée, que les peintres espagnols se sont bornés à copier dans la pensive soumission de leurs Vierges ; et encore et toujours, ce sont ces traits attachans, l’ovale un peu allongé du visage, la bouche rêveuse et petite, les yeux humides sous de longs cils baissés qui se relèvent d’un mouvement immense et doux. En les regardant, je me rappelle ces trois inimitables choses qu’on voit au musée de Bruxelles : les portraits des trois filles de Charles-Quint par Coëllo.

Est-ce influence ambiante, inhérente à la terre d’Amérique ; est-ce le corollaire logique de cet esprit d’émancipation, de cet