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sur le budget grenadin n’ont point les mandibules moins exigeantes ni moins actives que celles d’outre-Atlantique.

De là ces assauts vers le pouvoir où se rue périodiquement la foule des inassouvis. Depuis 1820, la Colombie n’a pas souffert moins de soixante-seize révolutions ou tentatives de révolution. Pendant ce même laps de temps, le pays n’a jamais passé plus de huit ans sans émeute. La plus longue période de paix civile s’est écoulée entre 1886 et 1895. Voilà qui laisse encore loin en arrière les chiffres établis par la France.

Est-on bien toujours équitable, d’ailleurs, pour ces peuples au berceau ? Ce sont de grands enfans qui, chacun à son tour, — voyez le Mexique, le Chili, — feront des hommes. Pour l’instant, il est entendu que la critique en est aisée, trop aisée. Pour moi, je préfère étendre à tous ces embryons d’Etats le beau cri de guerre et de progrès de la grande terre océanienne ; l’Advance Australia ! répété hier encore par la Rhodesia. Ne viendra-t-il pas, le vrai libérateur, n’éveillera-t-il pas enfin cette Nouvelle-Grenade qu’on aime malgré ses défaillances et ses travers, le Porfirio Diaz qui lui criera, à elle aussi : Allons, Colombie !

Car voilà ce qui lui manque le plus, à ce pays si merveilleusement doté, outillé par la nature : le bon tyran. Ce système du pouvoir personnel n’est tolérable que sous réserve d’une direction non moins éclairée que forte et qui compense par le prestige à l’extérieur la réglementation souvent serrée, sinon opprimante, des libertés civiques. En regard du dictateur intelligent qui s’est rencontré à Santiago et à Mexico, que de Celmans, de Francias, de Crespos ! Et, pour qui s’inquiète moins des mots que des réalités, quel despotisme, bon ou mauvais, quel véritable césarisme, donnant en fait, à M. Diaz et à M. Crespo, une omnipotence identique à celle dont leurs propres administrés ne manquent point de plaindre éloquemment les sujets du tsar ! C’est, par une ironie singulière et mélancolique, le terme de République couvrant précisément l’antithèse de toutes les données républicaines, quelque chose de nouveau et de très vieux tout à la fois, la discipline barbare et féconde, selon les cas, de l’Empire électif. Par l’aléa qui domine la loterie présidentielle, il n’est point impossible d’y voir une régression, non seulement sur la monarchie constitutionnelle, mais même sur la monarchie de droit divin. En fait, un tel régime rappelle assez bien le temps, avant Austerlitz, où nos écus français laissaient