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tête, comme si le sang versé pour cette Golconde eût crié contre eux. Ils avouaient toutes les rapines, ordonnées ou contresignées par eux, qu’avait permises cette organisation coloniale du Gouvernement général des Indes, avec ses deux secrétariats du Pérou et de la Nouvelle-Espagne, le premier embrassant une juridiction qui s’étendait de Panama à Buenos-Ayres. Ils avouaient tout ce qui avait pu se passer à l’ombre de cette division des colonies en Provinces Majeures et Provinces Mineures, vice-royautés et capitaineries générales, dont les intérimats aux mains des premiers venus furent un tel fléau que les rois d’Espagne durent, en même temps que les gouverneurs, nommer, par lettres de « provision » cachetées, leurs successeurs. Ils convenaient de l’éternelle impuissance du Conseil des Indes à en réprimer les abus. Ils prenaient leur part des exactions et des crimes sans nom dont se souilla le régime des encomenderos, ces colons à qui étaient dévolus en propriété les villes comme les champs, les habitans et les terroirs. Ils la prenaient aussi de ces comédies qui s’appelèrent les « jugemens de résidence, » juicios de residencia, enquêtes locales devant quoi les gouverneurs devaient rendre compte et qui ne laissèrent jamais apparaître que les collusions les plus éhontées entre enquêteurs et assignés. Ils reconnaissaient la pesanteur du joug de cette mère patrie interdisant « sous les peines les plus sévères, dit Pereira, de planter des vignes, des oliviers, du chanvre et autres plantes industrielles de la Péninsule ; » refusant, par la plume de Charles IV, « la permission de fonder une Université à Mérida, sous prétexte que l’instruction ne convenait point aux Américains ; » et en sanctionnant, en effet, l’interdiction jusqu’à punir de mort la lecture de l’Histoire d’Amérique de Robertson ; tandis que, parallèlement, le commerce des colonies était le monopole, ou presque, de la Casa de Contratacion de Séville, et que la vénalité des officiers aux Indes ne laissait d’autre alternative que la concussion à leurs acquéreurs et que la spoliation aux administrés.

Comme les Indiens, qu’ils exterminaient au travail des mines, ces thésauriseurs insatiables ont passé. Les Adelantados et les Visiteurs Royaux sont allés se confondre dans la même poussière. De loin en loin, en parcourant leur ancien empire, on retrouve encore quelques ouvrages qui parlent de leur grandeur : un pont, un fragment de route à peu près conservé. A Bogota même, où cette solide cathédrale, victorieuse des convulsions terrestres, est