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chrétiens, l’assassinat d’un ministre et d’un autre diplomate n’ont pas entraîné une punition exemplaire. Finalement, l’Europe serait amenée à intervenir de nouveau, à se montrer d’autant plus dure qu’elle aurait été plus faible une première fois et qu’elle aurait sans doute perdu patience. Or, c’est une nouvelle intervention qu’il faut éviter par-dessus tout, si l’on ne veut courir le risque de voir la Chine s’écrouler tout à fait, au milieu de terribles convulsions : il convient de ne pas mettre trop souvent la hache sur ce vieux tronc vermoulu.

Si l’Europe risque de ne pas se montrer assez sévère, c’est qu’elle est pressée, comme toujours, alors que la Chine ne l’est jamais ; même les puissances les plus portées aujourd’hui à la sévérité, comme la Grande-Bretagne, ne seraient pas longues à se lasser ; supposez que les négociations s’éternisent, qu’un état de trouble se maintienne, — ce qui est assez probable, — jusqu’à la conclusion de la paix ; vous verrez bientôt les commerçans anglais jeter les hauts cris, dire que les affaires souffrent trop de cet état d’instabilité et qu’il faut en finir au plus tôt.

Les gens pressés, à moins de tout briser, — et l’Europe ne le fera pas cette fois, — sont toujours dans un état d’infériorité par rapport à ceux qui ne le sont pas. Aussi l’Occident finirait-il peut-être par se contenter de quelques satisfactions illusoires, tout à fait disproportionnées à l’outrage qui lui a été infligé, aux pertes d’argent et surtout de sang qu’il a subies, si une puissance ne paraissait heureusement peu disposée à se rallier à une politique d’excessive indulgence. La mort de l’infortuné baron de Ketteler semble avoir déjà sauvé tous ses collègues du même sort[1] ; elle préservera peut-être encore l’Europe d’une politique de faiblesse qui rétablirait un peu plus vite un calme apparent, mais aurait les pires conséquences dans un avenir peu éloigné. En montrant une énergie dont l’exemple entraîne bon gré mal gré les autres pays, le gouvernement allemand répare les fautes qu’il a commises naguère.

Ce qui importe avant tout, pour arriver à une solution un tant soit peu durable de la crise actuelle, c’est de faire sur la Cour de Pékin une impression profonde qui ne s’efface de longtemps, sinon jamais : « Toute solution qui donnerait à la Chine

  1. Il paraît certain que la Cour et les Boxeurs avaient comploté la mort de tous les ministres étrangers ; mais que l’ambassadeur d’Allemagne fut par hasard égorgé avant le jour fixé, ce qui mit ses collègues sur leurs gardes.