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D’abord le Céleste-Empire diffère absolument des nations occidentales par sa conception de la justice. Par exemple, en juillet 1839, un matelot indigène avait été tué dans une rixe entre marins anglais et chinois ; le meurtrier n’ayant pas été découvert, les autorités chinoises exigèrent qu’on leur livrât un Européen quelconque, « afin que le sang fût vengé par le sang. » Le commandant des forces navales anglaises n’acquiesça point à cette proposition. Mais le commissaire impérial réitéra sa demande au mois d’octobre, mettant Charles Elliot en demeure d’opter dans le délai de trois jours entre la remise d’un sujet anglais responsable qui se soumettrait à toutes les pénalités chinoises et le départ immédiat de tous les navires anglais. Cet incident provoqua de sérieuses escarmouches et notamment le combat naval de Chuen-pee qui précédèrent la déclaration de guerre officielle. Comment s’accorder sur le principe de la responsabilité pénale avec un peuple qui punit tout un groupe pour le crime commis par un seul homme ; qui fit étrangler ou décapiter, par exemple, en 1873, toute une famille innocente, composée de treize personnes, y compris un enfant de deux mois, parce qu’un de ses membres avait violé la tombe d’un prince et soustrait des ornemens de prix[1] ?

M. H. Norman a déclaré que tout fonctionnaire chinois, sauf un cas d’exception possible sur mille, est « un menteur, un voleur et un tyran[2] ; » or, ce jugement, applicable aux magistrats de l’ordre judiciaire comme aux magistrats de l’ordre administratif, paraît être à M. Pierre Leroy-Beaulieu « d’une sévérité à peine exagérée. » M. Baril, après de patientes observations, conclut en ces termes : « L’administration de la justice chinoise n’offre guère qu’un tableau de corruption, d’extorsion et de cruelle injustice. » Il y a même, au Céleste-Empire, une classe d’intermédiaires usuellement employés pour corrompre les juges[3]. L’Empereur Khang-hi, qu’on suppliait de corriger ces abus, répondit qu’il se garderait bien d’y chercher un remède, parce qu’ils étaient de nature à dégoûter tout le monde des procès[4]. Les Chinois, soit, mais les étrangers ?

La procédure criminelle est atroce. Je me borne à citer deux

  1. A. H. Smith, Chinese Characteristics, New-York, 1894.
  2. Politics and peoples of the Far East, Londres, 1895.
  3. E. Baril, les Chinois chez eux, p. 172.
  4. Huc, l’Empire chinois, 1862.