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s’assurer lui-même contre ce risque. En théorie, l’objection était juste ; en fait, elle s’est trouvée vaine. Pendant que l’application progressive de la loi portait le nombre des malades indigens de 360 000 en 1895, à près de 500 000 en 1899, en augmentation de 145 000, le nombre des participans aux sociétés de secours mutuels s’élevait de 1 354 439 au 31 décembre 1895, à 1 759 000 au 31 décembre 1899, en augmentation de 405 000. Les mutualistes ont préféré le médecin de la société, qui est le leur et qui a par conséquent intérêt à les bien soigner, au médecin imposé du bureau de bienfaisance dont ils n’ont pas toujours à se louer ; et ce fait curieux montre combien quelques-unes des objections faites à l’assistance obligatoire sont, comme je le disais, des objections d’école. Quant à la dépense annuelle dont on s’effrayait, pour les départemens et les communes de toute la France, elle n’a pas dépassé quatre millions, et la contribution de l’Etat n’a pas atteint le chiffre de 2 millions, qui avait été prévu. Les dépenses nécessaires à l’agrandissement ou à l’amélioration des hôpitaux se sont élevées, il est vrai, à 27 millions ; mais elles ont été prélevées entièrement sur les fonds du pari mutuel, et ce prélèvement justifie en partie cette institution très contestable en elle-même[1].

Le vote de la loi assurant l’assistance aux malades indigens n’a donc pas entraîné les conséquences que l’on redoutait, et on a le droit de dire qu’elle a marqué dans notre organisation sociale un sérieux progrès. Faut-il faire un pas de plus, et étendre l’assistance obligatoire aux incurables et aux infirmes ? Je n’hésite pas à répondre affirmativement. La logique le veut et l’humanité le commande. La logique, parce que l’incurable ou l’infirme n’est pas autre chose qu’un malade dont la science n’a pas su améliorer l’état ; l’humanité, parce que l’incurable n’est pas moins à plaindre que le malade. Il l’est même bien davantage, sa misère finissant par lasser, parfois par rebuter. Il y a là des détresses inénarrables, auxquelles la charité publique et la charité privée n’ont pensé jusqu’à présent que d’une façon tout à fait insuffisante. Si toutes deux sont demeurées au-dessous de leur lâche, c’est donc le cas ou jamais d’appliquer le principe formulé par le Congrès de 1889 que l’assistance publique est due à qui se

  1. Je cite ici les chiffres donnés par M. le Directeur de l’Assistance et de l’Hygiène publiques, sans avoir la moindre raison de mettre en doute leur exactitude, mais sans avoir eu le moyen de les contrôler.)