Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’après l’une de ces écoles, le soin d’organiser l’assistance aux malheureux, sous toutes ses formes, reviendrait exclusivement à l’initiative privée, et, pour soutenir cette thèse, les argumens ne font assurément pas défaut. En effet, si, dans une ville quelconque, l’esprit général d’humanité était poussé si loin que tous les enfans abandonnés fussent recueillis, tous les malades indigens soignés, tous les infirmes et incurables assistés aux frais des citoyens, qui leur prodigueraient les soins à l’envi, il y aurait là un état de choses idéal que l’intervention financière ou administrative de l’Etat ne ferait que gâter. Parlant de cette idée juste, certains économistes voudraient que l’Etat s’abstînt de toute intervention dans le domaine de l’assistance où, suivant eux, il serait un intrus et ne ferait que de la mauvaise besogne. Ils espèrent que l’initiative individuelle, laissée à elle seule, se développerait progressivement et finirait par pourvoir à toutes les misères auxquelles il est nécessaire de parer, et, comme, d’autre part, les facultés de la bienfaisance privée ne sont pas inépuisables, ils comptent que, mieux que l’Etat, elle saurait se défendre contre les fausses misères, et surtout que, par des secours assurés d’avance, elle n’encouragerait pas, chez certaines catégories de malheureux, la paresse et l’imprévoyance.

Tout à l’opposé se rencontre une école née à la fin du siècle dernier qui fait de l’assistance une fonction de l’Etat et qui tend de plus en plus à en décharger la bienfaisance privée, quand elle ne va pas jusqu’à lui défendre d’y intervenir. La Convention n’avait pas craint d’aller jusque-là. Elle avait fait de l’aumône un délit en proscrivant toute distribution de secours autre que les secours publics. Parmi ceux qui se croient exclusivement fidèles à l’esprit de la Révolution, il n’y en a pas beaucoup qui soient aujourd’hui disposés à aller jusque-là. Mais la tendance est la même. L’initiative privée en matière d’assistance, la charité, pour l’appeler par son nom, est vue par eux avec hostilité, avec méfiance. Sans se prononcer pour sa suppression immédiate, ils sont surtout préoccupés de restreindre et d’entraver son action. Ils la taxent d’infériorité dans ses procédés et ils lui reprochent surtout d’humilier ceux à qui elle s’adresse. Pour établir la supériorité de l’assistance sur la charité, ils ont même recours à l’étymologie, et ils ont découvert que charité vient du grec χάρις (charis), grâce, aumône d’ἐλεημοσύνη (eleêmosunê), pitié, tandis que « assistance vient du latin apud sistere, se tenir debout auprès, et il est permis de