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LE FANTÔME.

son front, en effet, elle me vit, et un sourire passa sur ses lèvres, une lueur brilla dans ses prunelles. Ah ! si j’avais eu le moindre doute sur la justesse des divinations inspirées à Montchal par la jalousie, je l’aurais perdu à rencontrer ce sourire et ce regard ! Comme ils disaient, sans coquetterie, sans mensonge, sans défiance, la joie que ma présence donnait à ce charmant être ! Et moi, comme mes raisonnemens de la veille et du matin étaient oubliés ! Je la trouvais si délicieuse ainsi, c’était tellement, cet accueil attendri, l’accueil de jadis, celui de l’ancien bonheur, que je ne réfléchis pas. L’opportunité de lui parler pendant quelques minutes en tête à tête était trop tentante, j’y succombai. Le temps de descendre l’escalier, et j’étais auprès d’elle.

— Ma tante ne doit pas être loin,… fit-elle aussitôt, après que nous eûmes échangé les premiers propos de banalité. Je voyais, et cette impression achevait de me troubler délicieusement, qu’elle était tout émue d’avoir été surprise ainsi, et, de sa voix mal assurée, elle jeta un cri d’appel, que j’interrompis en lui disant :

— On la cherche, mais je vous ai vue seule au jardin et je suis descendu. J’ai si peu d’occasion de causer seul avec vous !… Je m’écoutais prononcer ces paroles, absolument contraires à celles que j’aurais dû prononcer. Mon honneur me les reprochait au moment même ! Mais je la voyais qui, pour se donner une contenance, rangeait ses roses dans son panier de sa main restée libre, et ses paupières abaissées me rappelaient tellement des expressions de l’autre, toutes pareilles, qu’il me fallait, à tout prix, que cette ressemblance s’achevât par une effusion de tendresse, comme alors, et j’insistai, je ne lui en avais jamais dit autant : — Donnez-moi une de vos roses, lui demandai-je, que je la garde en souvenir de cette belle journée et du plaisir que j’ai eu à vous approcher par cette allée, et sans personne…

Je vis ses paupières, toujours baissées, battre nerveusement, ses mains trembler un peu en prenant dans son panier une de ses roses qu’elle me tendit, simplement et comme si elle n’eût pas voulu comprendre ce qu’il y avait de trop direct dans ma phrase. Elle me regarda pourtant avec des prunelles où je pus lire une supplication de ne pas continuer, et elle dit, remettant d’un mot la conversation à notre ton habituel :

— Pourquoi n’êtes-vous pas venu nous voir hier ? Ma tante vous avait prié ?…