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Constantinople, qui procurait à la Chine ces apparences de succès. Les événemens qui se passaient en d’autres points, bien éloignés, du globe, la confirmaient dans cette idée que la puissance des étrangers était surfaite et que tout le grand étalage qu’ils en faisaient n’était que du bluff, pour employer l’expression que les rodomontades d’un ministre anglais ont fait passer du vocabulaire des cartes dans celui de la politique. La presse étrangère des ports ouverts commente les événemens qui ont lieu dans le monde entier et par cette voie, à défaut d’autre, les échos en arrivent au gouvernement chinois. Peut-être, très probablement même, avait-il vu dans l’indifférence de l’Europe devant les massacres d’Arménie, qu’elle n’avait su ni prévenir ni châtier, une preuve de son impuissance. Plus tard, l’affaire de Fachoda, que les Anglais faisaient sonner bien haut, avait atteint le prestige de la France, sinon, par contre-coup, celui de son alliée la Russie : c’est à la suite de cet incident que la Chine se montra si peu traitable dans l’affaire de la concession de Shanghaï. Enfin, par un juste retour, on apprit à Pékin que l’Angleterre elle-même voyait ses armées tenues en échec par un petit peuple de pauvres montagnards, deux cents fois moins nombreux que les sujets de la Reine. Pour des gens qui ne voient que les apparences sans pouvoir descendre au fond des choses, n’y avait-il pas en tout cela un encouragement à délier l’Europe ?

A la lumière de ces faits, la catastrophe qui s’est produite cet été est, ce nous semble, bien explicable. Alarmée, comme toute la Cour et l’immense majorité des lettrés, par les réformes imprudentes dans lesquelles se lançait, sous l’influence de Kang-You-Wei, le jeune empereur Kwang-Sou, l’impératrice douairière avait ressaisi le pouvoir en septembre 1898 : la réaction qui en résulta mit le gouvernement entre les mains de personnages plus hostiles aux Européens que les gouvernails de la Chine ne l’avaient jamais été depuis 1860. Li-Hung-Chang, trouvé peut-être trop modéré, fut bientôt exilé dans la lointaine vice-royauté de Canton et, dès lors, tous les emplois supérieurs et le Tsong-li-Yamen lui-même se trouvèrent livrés à des princes mandchous bornés et brutaux, à des mandarins ignorant de la force des Européens parce qu’ils n’avaient jamais été en rapport avec eux. Ces créatures d’une vieille souveraine, ignorante elle-même comme une femme de harem qu’elle est et passionnée comme le sont toutes les femmes, ne surent pas comprendre, ainsi que l’avaient fait leurs