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LE FANTÔME.

bole m’attendrit comme une sympathie. N’était-ce pas un pèlerinage d’amour que j’étais en train d’accomplir, moi aussi, non pas avec la foi des fidèles de la blanche église, mais avec la seule piété de l’incrédule : la religion de la mort et du souvenir ? Le hasard voulait qu’il fît, par cette matinée pour moi si particulière, un de ces temps de Provence, à la fois clairs et âpres, où il flotte, dans l’atmosphère, du soleil caressant et de la brise un peu mordante, et qui vous énervent en vous vivifiant. Et quel paysage autour de moi ! Là-bas, la plaine d’où je venais, avec la ville à l’arrière-plan collée contre son rocher que couronnent les ruines de son château, la mer plus au loin, semée de grands vaisseaux, toute bleue et emprisonnée dans le vaste cercle de Giens, de Porquerolles, de Port-Gros, et de la côte. Devant moi, une route bordée de haies de roses, sinueuse et blanche, entre des champs de violettes, des vignes, des oliviers, et les pentes boisées des mamelons. À gauche, le clocher de la chapelle. À droite, par une échancrure de la colline, la silhouette abrupte des montagnes de Toulon ; et, sur tout cela, le rayonnant azur du ciel du Midi répandait comme une gloire. Cette divine lumière donnait de la grâce, même aux bicoques des maraîchers éparses de-ci de-là. Elle avivait et fondait à la fois les couleurs claires dont étaient peintes les façades des villas aperçues à travers les arbres. J’allais lentement, regardant cet horizon, respirant la salubre senteur des pins, lisant les inscriptions gravées aux portes des jardins, pensant à Antoinette et à l’enfant inconnue qui lui survivait, jusqu’au moment où ces deux mots : Les Cystes, répétés sur deux piliers de pierre, le long desquels montaient d’immenses géraniums grimpans, me firent m’arrêter, le cœur un peu remué. J’étais arrivé. Ces piliers servaient de supports aux battans d’une grille, à travers les barreaux de laquelle j’aperçus tout un parterre de végétations tropicales : des jubæas aux larges palmes souples, des yuccas hérissés de feuilles barbelées, des agaves énormes, des bosquets de mandariniers dont les fruits d’or brillaient dans la frondaison noire, des pentes de gazon avec des corbeilles d’anémones, et des bordures de narcisses et de frésias. L’arôme un peu sucré de ces fleurs m’arrivait, mêlé au parfum d’invisibles violettes, dont les planches devaient s’étendre tout près de moi. Et, au fond, la maison se blottissait, toute rose, et revêtue, elle aussi, de plantes grimpantes jusqu’à son premier étage. C’était une construction très simple, plus large que haute,