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entière, nous n’avons même pas su nous faire craindre et respecter. Quelles peuvent être les causes de cet étrange phénomène ?

Le mépris inné du Chinois pour tout ce qui n’est pas lui, y a, sans doute, sa part : la conviction de sa supériorité est tellement ancrée chez lui, à quelque classe qu’il appartienne, qu’elle reparaît aussitôt que la preuve de la force de l’étranger cesse d’être absolument palpable et présente. Dénaturant les faits pour « sauver la face » vis-à-vis de ses sujets, le gouvernement chinois se prend à ses propres mensonges et, dès que s’affaiblit sa perception immédiate de la puissance de l’Occident, il se trompe lui-même. Divers incidens de ses relations avec l’Europe ont été de nature à l’aider, à lui faire penser que les étrangers craignaient de s’engager à fond et que tantôt d’habiles subterfuges, tantôt une attitude résolue, un refus net de consentir à leurs demandes pouvaient avoir raison de leur insistance. L’une des plus fâcheuses affaires de ces dernières années, à ce point de vue, a été celle de la baie de San-Moun. On se rappelle de quoi il s’agissait : l’Italie, pour des raisons qu’on ne saisit pas très bien, mais qu’elle jugeait bonnes, s’était avisée de demander à la Chine de lui céder à bail, selon la formule à la mode, la baie de San-Moun dans le Tche-Kiang. La Russie, l’Allemagne, l’Angleterre, la France, avaient eu chacune leur baie : l’Italie jugeait qu’elle pouvait aussi avoir la sienne. A Pékin, on reçut naturellement cette demande sans enthousiasme et on chercha à l’éluder. Si l’Italie avait vivement insisté, peut-être aurait-elle fini par l’obtenir : mais elle ne trouva pas en Europe les concours sur lesquels elle comptait. Son excellente amie, l’Angleterre, fit elle-même grise mine : au goût de celle-ci, il y avait déjà trop de puissances en Chine ; après avoir mené assez grand bruit, envoyé même un ou deux croiseurs, le cabinet du Quirinal jugea qu’il valait mieux se replier, et sans doute il fut sage : qu’allait-il faire dans cette galère ? Mais la Chine y vit un triomphe pour elle, une preuve d’impuissance de la part d’une des grandes nations de l’Europe. Son audace s’en accrut et elle voulut aussitôt mettre le précédent à profit en refusant à la France l’extension de sa concession à Shanghaï ; ce n’est qu’après de très longues et pénibles négociations qu’elle céda sur ce point, ayant eu la satisfaction de faire attendre aussi ces autres diables d’Occident.

C’était la désunion du concert européo-américano-japonais de Pékin, digne pendant de son aîné le concert européen de