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de la République et nos ministres. Il a trouvé chez eux la plus respectueuse considération pour sa personne et la plus grande sympathie pour la cause des républiques sud-africaines. Ces sentimens sont ceux de la France entière. Mais une politique ne s’inspire pas seulement des sentimens, ni même des intérêts : elle doit encore tenir compte des moyens dont elle dispose pour les faire prévaloir. Avons-nous les moyens de donner, soit matériellement, soit même moralement, un appui efficace aux infortunés Boers ?

Puisque les souvenirs de 1870-1871 nous sont revenus à la mémoire, il faut en tirer une leçon. Nous n’avons même pas besoin de le faire nous-mêmes : dans une récente discussion du Reichstag allemand, M. le comte de Bulow a pris la peine de nous en dispenser, et, bien que l’ironie habituelle à sa parole soit plus à sa place lorsqu’il l’applique au Reichstag, qui en est charmé, qu’à des nations étrangères, qui pourraient l’être moins, nous devons l’écouter et faire notre profit de ses observations. On discutait les affaires de Chine. M. de Bulow avait à calmer les inquiétudes provoquées chez les députés par certaines allures de la politique impériale. Tout lui a été bon pour cela, et nous ne pouvons pas trouver surprenant qu’il ait quelque peu sacrifié la France, — historiquement, bien entendu, — puisqu’il a très délibérément jeté par-dessus bord son prédécesseur, le prince de Hohenlohe, et a même promis que, maintenant qu’il était lui-même chancelier, l’Empereur parlerait moins, ou parlerait mieux. Un homme qui s’affranchit aussi délibérément de tout et de tous dans le passé ne devait mettre aucun scrupule à répudier notre propre exemple. Aussi a-t-il dit que l’Allemagne n’avait aucune intention de jouer dans le monde le rôle de providence, comme la France l’avait fait en d’autres temps, ce qui, a-t-il ajouté, n’a pas réussi à Napoléon III. Ce n’est pas nous qui nous inscrirons en faux contre ce jugement. La politique de Napoléon III a été beaucoup plus profitable à nos voisins qu’à nous-mêmes. Nous ne la conseillons à personne. Toutefois, lorsque la France avait le tort, qui lui a coûté si cher, de vouloir exercer sur le monde une sorte d’hégémonie morale où elle a oublié si souvent ses propres intérêts, un air plus vif et plus chaud composait l’atmosphère de l’Europe. Certaines pensées généreuses s’y développaient plus librement. La date de 1870 a coupé le siècle en deux parties, dont la seconde a cessé de ressembler à la première. On a reproché à un bourgeois de 1830 d’avoir dit : « Chacun chez soi, chacun pour soi. » M. Dupin s’en est défendu. Mais, après 1870, le prince de Bismarck, qui n’était