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maître en politique, et ailleurs, que de ce que l’on accepte ; et si je me suis fait comprendre, on ne verra point, je l’espère, de paradoxe dans cette formule à laquelle j’aboutirai : si vous voulez, Français ou Italiens, Allemands ou Hongrois, avoir votre influence dans le développement de l’âme américaine, commencez par être vous-mêmes Américains.


V

Mais je m’aperçois que, sous prétexte de mettre en lumière, et, ainsi qu’on le voit, de discuter l’idée générale ou principale du livre de M. de Nevers, je risquerais de ne pas indiquer tout ce qu’il contient et d’autres idées, et d’observations justes, et de satires fines et heureuses de la vie américaine. Ce serait, en vérité, grand dommage ! C’est ainsi, qu’après M. James Bryce, on peut le lire, il faut le lire sur « la Question nègre ; » et il a très bien vu qu’il n’y en avait peut-être pas de plus inquiétante pour (‘Amérique. Songez en effet qu’il y a maintenant 10 ou 12 millions de nègres en Amérique ; reprenez la carte, et considérez que les trois quarts d’entre eux se répartissent entre six États limitrophes, Caroline du Sud, Géorgie, Floride, Alabama, Mississipi et Tennessee ; comptez que, dans trois au moins de ces États, ils sont déjà plus nombreux que les blancs ; voyez que, n’étant pas plus de 4 millions il y a quarante ans, à l’époque de la guerre de sécession, aucune autre race, depuis ce temps, n’a « multiplié » davantage ; apprenez des Américains que tous les efforts qu’ils disent avoir tentés pour élever le nègre au niveau du dernier des émigrans d’Europe semblent avoir échoué ; — et vous vous ferez quelque idée de la gravité de la question.

C’en est une autre, il est vrai, que de savoir si les Américains ont fait autant d’efforts qu’ils le disent pour améliorer le nègre. Ils en ont fait de considérables, je le sais, et, — puisque M. Edmond de Nevers n’en a même pas, je crois, parlé — je saisirai cette occasion de signaler ce que l’on pourrait appeler l’Œuvre du John F. Slater Fund. John Slater était un riche négociant de Norwich, au Connecticut, qui, de son vivant même, en 1882, a constitué un fonds de 5 millions de francs pour les revenus en être exclusivement employés à « élever, — uplifling, — les nègres émancipés des États du Sud, et leur postérité, en leur assurant les bienfaits d’une éducation chrétienne. » Ce Slater, on le voit,