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notre littérature : il n’y a que nos écrivains du XVIIIe siècle qui aient oublié quelquefois d’être Français, et il n’y a de cette vérité que le brillant critique littéraire du Temps qui ne se doute point. Même cela est vrai des réformateurs de notre orthographe ou de notre syntaxe, puisqu’en les bouleversant ils-ne se proposent, disent-ils, que d’en rendre l’étude à la fois plus-profitable à nos Français et plus facile aux étrangers. Ils avaient de bonnes intentions, mais les conséquences en seraient désastreuses. Si nous nous conformons à cette double tradition, nous pouvons être assurés que nous ne perdrons rien de notre influence. Elle sera dans l’avenir ce qu’elle a été dans le passé. Nos ennemis eux-mêmes, — si nous en avons ! — ne se serviront contre nous que de nous. Et c’est à peine alors, partout où il existe des centres-de « culture française, » si nous aurons besoin de les « entretenir ; » ils se développeront d’eux-mêmes.

C’est de cette manière, qui diffère un peu de celle de M. de-Nevers, que j’en visage en Amérique la solution du « problème des races. » Le mouvement démocratique, représenté, si l’on le veut, par l’élément irlandais, est présentement en train de dégager de ce contact ou de ce mélange de toutes les races de l’ancienne Europe les caractères essentiels d’une âme américaine, encore instable et indéterminée. Quand ces caractères seront pour ainsi dire fixés, les hérédités anciennes se réveilleront de leur sommeil ; et de même, ou à peu près, qu’autrefois la romanisation-du monde n’a empêché ni la Gaule de devenir la France, ni l’Ibérie de devenir l’Espagne, ainsi l’anglicisation du continent Nord américain n’empêchera pas cette âme américaine d’emprunter aux élémens hétérogènes dont elle se sera formée ce qu’elle en trouvera d’assimilable à sa propre substance. Car, enfin, il y a une justice ! Aux étrangers qui viennent s’établir chez nous, je veux dire en France, en Angleterre, en Allemagne, — et même quand ils ne s’y établissent pas sans esprit de retour, — nous n’avons pas besoin de leur imposer nos lois ou coutumes ; ils les subissent, ou ils s’y résignent, et d’ailleurs ce n’est pas en y résistant, mais au contraire en les subissant qu’ils les modifient. Pareillement en Amérique. Il en sera des autres élémens étrangers comme de l’élément irlandais lui-même. S’il est devenu si puissant et si, comme l’auteur de l’Ame américaine, on peut dire qu’il règne aux Etats-Unis, c’est précisément pour n’avoir pas prétendu maintenir son autonomie dans l’Union. Après tout, on ne se rend,