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Les Irlandais lui ont fait oublier les Allemands, et, catholique lui-même, mais Canadien français, je crains qu’il n’ait uniquement vu dans le catholicisme américain l’établissement d’une Eglise d’Irlande en Amérique. Et, comme les conclusions que l’on tire de l’observation des faits dépendent sans doute en partie des raisons qu’on assigne à ces faits, on voit quelle est ici la nature de notre critique. « L’assimilation des émigrés à l’élément de langue anglaise, facteur morbide qui a dominé toute l’évolution morale de la nation pendant la plus grande partie du siècle qui finit, se heurte à une forte réaction qui ne peut désormais que s’accentuer. » Ainsi s’exprime M. Edmond de Nevers, et nous, pour notre part, nous ne voyons rien que de naturel, et même de légitime, dans l’effort de l’élément anglo-saxon d’Amérique pour s’assimiler les « émigrés » qui lui viennent d’Europe, bien loin d’y rien voir de morbide. Ce n’est pas un Français, s’il est lui-même fidèle à ses traditions et qu’il n’ignore pas tout à fait son histoire, qui pourrait reprocher à la grande république des États-Unis de vouloir être une « nation ! » Tout en convenant donc du fait avec M. Edmond de Nevers, ne l’expliquant pas tout à fait par les mêmes causes, nous ne le voyons pas tout à fait du même œil. Il nous reste à dire comment nous le voyons.


IV

Le phénomène américain n’est qu’un cas particulier, mais le plus expressif de tous, et nous en avons dit la raison, du phénomène universel qu’on pourrait appeler la transformation des aristocraties du passé en démocraties de l’avenir. Vers la fin de son livre, M. Edmond de Nevers, insistant sur l’intérêt qu’il y a pour les groupes ethniques de l’Union « à ne rien abandonner de leur héritage ancestral, » et à cultiver « leurs aptitudes héréditaires, » a écrit cette phrase : « Le fait essentiel de la floraison intellectuelle de la Renaissance dans l’Europe du XIIIe siècle, a-t-on dit, c’est que les écrivains de ce temps, bien qu’ils connussent tous le latin, ont écrit dans des idiomes particuliers, ouvrant ainsi à l’humanité de nouvelles sources de beauté. Il est permis d’augurer pour l’Amérique du XXe siècle une renaissance semblable et on en peut saluer déjà l’aurore. » Je crains ici qu’il ne se méprenne sur « le fait essentiel de la floraison intellectuelle de la Renaissance ; » et je ne sais d’ailleurs s’il veut insinuer