Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

catholique en tant qu’irlandaise, — et irlandaise en tant que catholique, ce qui n’est plus tout à fait la même chose.

Car un doute s’élève ici, qui est de savoir, même en admettant la grande influence du clergé irlandais américain dans la diffusion du catholicisme, si c’est comme Irlandais qu’ils ont réussi ou comme catholiques ? et, plus généralement, tout en accordant à M. Edmond de Nevers que l’immigration celtique a considérablement modifié l’Amérique anglo-saxonne dans un sens très différent de son orientation première, il s’agit de savoir si cette modification est l’œuvre du génie obscur des races ou peut-être celle des circonstances ? M. Edmond de Nevers a bien prévu l’objection, et il a essayé d’y répondre. Je crains qu’il ne l’ait fait un peu brièvement. Et aussi bien ne le reconnaît-il pas lui-même, quand il convient qu’à la base du « caractère américain » il ne se pourra pas qu’il n’y ait toujours bien des traits anglo-saxons ? Ses explications, ses déductions, ses observations sont toutes ou presque toutes, nous l’avons dit, et le lecteur le pensera comme nous, du plus grand intérêt. Elles nous font envisager le « phénomène américain » par un nouvel aspect, et il semble que des faits inexpliqués jusqu’ici s’éclairent par la théorie des races. Mais ne s’éclairent-ils pas tout aussi bien peut-être par des considérations moins matérialistes à la fois et moins mystiques, celles qu’on tirerait par exemple, et tout simplement, du progrès de la démocratie ? S’il y a 10 ou 12 millions de catholiques aux Etats-Unis, c’est sans doute que les Irlandais y sont au nombre de 24 ou 26 millions. Mais pourquoi ne serait-ce pas parce qu’il y a dans le catholicisme une vertu démocratique et sociale, que le protestantisme en a comme éliminée dans la mesure où il a fait de la religion une affaire individuelle ? J’en reviens toujours à l’intervention du cardinal Gibbons dans l’affaire des Chevaliers du Travail, et je rappelle que des motifs sociaux paraissent avoir été, sinon la raison déterminante, à tout le moins une des raisons de la conversion du Père Hecker, lequel n’était point d’origine irlandaise, mais allemande. Et, à ce propos, dans un autre ordre d’idées, que fait-on des 18 ou 20 millions de citoyens américains d’origine allemande ? Ils sont, avons-nous dit, près de 800 000 rien qu’à New York : pourquoi le caractère de la démocratie de l’Etat-Empire ne dépendrait-il pas d’eux autant que des 800 000 Irlandais qui les contre-balancent en nombre ? Je ne vois pas que M. Edmond de Nevers ait discuté ces questions.