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l’admirable plainte : « Le héros que j’attends ne reviendra-t-il pas ? » Elle nous émeut tant qu’elle demeure isolée, anonyme surtout, et que notre imagination, ou notre ignorance, la peut attribuer à quelque amoureuse antique : « Ariane aux rochers contant ses injustices. » Mais dès que nous la remettons à sa place, sur les lèvres de « la nymphe des Thuileries, » attendant, — si glorieux qu’il soit, — le retour de Louis XIV, aussitôt le charme s’évanouit, l’émotion se glace, et nous n’entendons plus qu’un soupir de commande et, si j’ose dire, d’étiquette, au lieu d’un sanglot humain.

Quant à la « représentation de la parole » par la musique, il faut avouer qu’elle fut rarement plus fidèle. « Si vous voulez bien chanter ma musique, disait Lully, allez entendre la Champmeslé. » Ce mot résume non seulement l’art des interprètes, mais celui du maître. On sait comment Lully travaillait. Lorsqu’il avait, — après de longs débats, — accepté de Quinault le texte d’une scène, son premier soin était de l’apprendre par cœur. Puis « il s’établissait à son clavecin, chantait et rechantait les paroles, battait son clavecin et faisait une basse continue. Quand il avait achevé son chant, il se l’imprimait tellement dans la tête, qu’il ne s’y serait pas mépris d’une note. L’Alouette ou Colasse venaient, auxquels il le dictait. Le lendemain, il ne s’en souvenait plus guère[1]. »

Les amateurs ou les critiques du temps n’attachaient pas à la parole une moindre importance. Un jour que, devant Perrault, on reprochait aux poèmes de Quinault, — le reproche aujourd’hui nous étonne, — d’abonder en expressions communes, Perrault soutint que celles-ci n’étaient pas seulement convenables, mais nécessaires à la musique. Sans elles, ajouta-t-il pour les défendre, « on ferait des paroles que les musiciens ne pourraient chanter et que les auditeurs ne pourraient entendre. Vous savez que la voix, quelque nette qu’elle soit, mange toujours une partie de ce qu’elle chante et que, quelque naturelles et communes que soient les pensées et les paroles d’un air, on en perd toujours quelque chose. Que serait-ce si ces pensées étaient bien subtiles et recherchées et si les mots qui les expriment étaient des mots peu usités et de ceux qui n’entrent que dans la grande et sublime poésie ? On n’en entendrait rien du tout. Il faut que, dans un mot qui se

  1. Vie de Quinault, en tête de ses Œuvres (édition de 1778).