Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/629

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par ce moyen les esprits des auditeurs, accoutumés et dressés à la musique par forme de ses membres, se composent pour être capables de plus haute connaissance, après qu’ils seront repurgés de ce qui pourrait leur rester de la barbarie. »

« Représenter la parole, » telle est donc, à la fin du XVIe siècle, la mission et « l’éminente dignité » de la musique. Cinquante ans plus tard, dans le drame lyrique de Lully, malgré les progrès de la musique elle-même, de la musique en soi, ce caractère dominera toujours.

Les autres même ne seront pas abolis. Affaibli sans doute, ou plutôt gâté par l’abus soit de l’allusion et de l’allégorie, soit de la représentation et du spectacle, de la décoration et des machines, le goût de l’antiquité se retrouve dans l’œuvre entier de Lully. Il s’y manifeste non seulement par l’imitation, mais par la contrefaçon même ou la parodie. Parmi les quinze ou vingt ouvrages que composa « le Florentin » sur les poèmes de Benserade, de Thomas Corneille et surtout de Quinault, on n’en citerait guère plus de cinq ou six qui n’empruntent pas à la mythologie leur sujet, leur titre et leurs personnages.

De l’opéra de Florence, l’opéra de Paris, ou de Versailles, ne désavoue rien : ni les origines académiques, ni la destination officielle, le caractère d’à-propos ou de gala. Quinault avait l’habitude de présenter au roi plusieurs sujets, et le monarque, après avoir consulté l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, choisissait le poème et fixait la nature et l’ordre des divertissemens[1]. Ceux-ci tenaient une place toujours considérable et souvent exorbitante. Ils faisaient de l’œuvre d’art, qui doit être générale, éternelle, une œuvre par trop de côtés personnelle et passagère. Des actes entiers d’opéra tournaient en complimens au roi, en tableaux du palais et de la Cour. Les exemples sont nombreux, dans l’œuvre de Lully, de cette diminution ou de cette déchéance esthétique. En la seule année 1685, qui fut l’avant-dernière de sa vie, le compositeur officiel n’écrit pas moins de trois ouvrages de circonstance : l’Idylle de la paix, le Temple de la paix, et l’Eglogue de Versailles. Les hors-d’œuvre nous gâtent aujourd’hui ses chefs-d’œuvre eux-mêmes. Le prologue de Thésée se passe à Versailles ; ceux d’Armide et d’Alceste ne sont également que des cantates royales. Sans doute vous connaisse/, au début d’Alceste,

  1. Voyez dans le dictionnaire de Chauffepié l’article Quinault.